isabelle cambourakis

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 mars 2023

isabelle cambourakis

Abonné·e de Mediapart

Mégabassines : « Tu vas peut-être tuer quelqu'un pour défendre le trou derrière toi... »

Retour du rassemblement contre les mégabassines. Nous avons vu cette BRAV des champs montée sur quads faire vrombir les moteurs. Corps militaires carapacés, armes létales, masculinité guerrière, armada ultra sophistiquée, le tout au service de l'agro-industrie. Ce n'est qu'après-coup qu'on a compris que des blessé·es, il y en avait environ 200, et quelques-uns vraiment graves. Ici comme ailleurs, il va falloir désarmer la police, supprimer les BRAV, défendre tout corps ayant dû subir la répression. 

isabelle cambourakis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous venons de rentrer de Melle et du rassemblement contre les mégabassines. Pendant deux jours sur place, nous avons eu très peu d'infos sur la médiatisation de la mobilisation, de la répression, des blessé·es et des mutilé·es. Dans l'après-midi, premier message de mon fils : « Vous allez bien ? » ; « c'est chaud, il paraît » et toute la soirée ensuite, aujourd'hui encore, les ami·es, la famille nous contactent pour nous demander comment ça va à Sainte-Soline.

Et franchement, je n'en sais rien.

J'attends, les yeux rivés aux écrans et aux réseaux, des nouvelles sur l'état de santé des blessé·es, de cette personne dans le coma qui n'a pu être prise en charge rapidement. Je lis que l'opérateur du SAMU a dit qu'il avait l'ordre du commandement de la gendarmerie de ne pas intervenir, qu'il y a eu une heure et demie entre l'appel au Samu et l'arrivée d'une ambulance et trois heures quarante avant que ce blessé n'arrive au CHU de Poitiers. Que des élu·es ont appelé Elisabeth Borne pour donner l'ordre de laisser passer l'ambulance.

Pour le reste, je ne sais que ce que j'ai vécu. La foule immense de tous âges, les trois cortèges, celui de la loutre jaune, de l'outarde rose et de l'anguille turquoise. J'ai pour ma part suivi la grande outarde en bois à travers champs, pissé avec d'autres dans le colza, mangé debout un sandwich de fortune pendant que des membres de la Confédération paysanne plantaient une haie de trente mètres le long d'un des champs où poussent blé, mais et colza indus. 

Illustration 1
@Soulèvements de la Terre

Quand nous avons quitté le chemin pour arriver à travers champs devant la méga bassine, j'ai dû avec d'autres traverser des fossés remplis d'eau, plus ou moins haute. Je n'ai pas du tout, comme la personne sur la photo (récupérée sur l'insta des Soulèvements de la terre), sauté avec élégance entre les bords, il a fallu me faire aider ; j'ai descendu les bords terreux sur le cul, et des jeunes militant·es me tendaient la main de l'autre côté. C'était joyeux, un groupe de filles inventait des chansons sur Darmanin. De loin, la bassine m'a fait penser aux silos de missiles nucléaires sur les photos de Greenham common, notamment parce que le tumulus plastifié était encerclé par des véhicules de gendarmes.

Avant que l'on arrive, on a pu voir une sorte de BRAV des champs montée sur quads faire vrombir les moteurs avec démonstration. Corps militaire carapacés, armes létales, masculinité guerrière, armada ultra sophistiquée, le tout au service de l'agro-industrie et des 5% des plus gros agriculteurs du coin, le boys band de la FNSEA qui avait les nuits précédentes crevé quelques pneus pour bien montrer qui avait les plus grosses.

J'ai suivi l'outarde sur un des côtés et nous avons fait des lignes main dans la main. Nous avons commencé à jouer à 1,2,3 soleil avec les flics en face, nous rapprochant d'eux au point de pouvoir leur dire « tu défends un trou, mec, un trou vide, qui va puiser dans les nappes phréatiques mec, afin d'irriguer des champs de maïs indus qui vont ensuite être vendus à l'international, mec, tu vas passer ta journée à bosser pour la FNSEA, contribuer à bousiller le marais poitevin, tu bousilles les libellules, mec, les grenouilles, tu contribues à produire de la merde, tu vas envoyer des grenades létales sur des corps fragiles mec, tu vas peut-être tuer quelqu'un·e pour défendre le trou derrière toi... »

C'est dans ma tête que ça se passe, mais j'ai pas trop le temps de me demander si c'est pertinent de parler à des militaires plutôt qu'à l’État parce qu'ils balancent des lacrymos tous azimuts dans notre jolie ligne main dans la main ? Derrière, on nous dit "ne lancez rien sur eux, on y va tranquille". C'est la valse des lacrymos. Mais heureusement il y a du vent, plutôt de notre côté et en rase campagne indus, sans haie, sans rien, c'est facile de la voir arriver la grenade. Des camarades prennent des mottes de terre et vont étouffer les gaz. C'est vraiment beau ce moment, et c'est comme une vague, des personnes prennent des mottes, de tout âge (les personnes, pas les mottes, hein) et protègent celleux qui n'osent pas le faire. Moi, je protège mon mec parce que dans ces moments-là, je suis bien plus warrior que lui. Et à chaque fois, la file des mains qui se nouent se reforme et on devient plus hardi·es, on sait jusqu’où tombent les grenades, c'est comme une danse, on en bouffe de la lacrymo, mais on va y arriver...

Et puis, il y a l'outarde qui s'approche de la ligne des flics et sans doute la vue de cette belle outarde ça les rend encore plus cons, les gendarmes et là ils commencent à balancer des grenades désencerclantes, je ne sais pas quel numéro, de GLi machin truc, je ne sais pas ce que c'est mais c'est bruyant, effrayant, ça blesse les gentes, certain·es s'écroulent au sol. Ils les envoient en cloche et elles explosent partout. L'outarde reste au milieu du champ. J'entends "Medic, medic", les flics se mettent à bombarder l'outarde de grenades et les camarades en dessous qui la tenaient jusque-là, au milieu des gaz, pas mal vaillant·es et les yeux rouges, l'abandonnent (puis retournent chercher la tête, la belle tête de l'outarde).

C'est à cet instant qu'on entend qu'il y a des blessé·es graves, qu'on va se rassembler toustes ensemble.

Mon texte est long, parce que j'en ai gros, quand même. Mais je saute des épisodes.

Ensuite on est rentré·es ; ce n'est qu'après-coup qu'on a compris que des blessé·es, il y en avait environ 200, et quelques-un·es de vraiment graves. Je revois en haut du tumulus de la bassine, des gendarmes qui envoient en cloche des grenades sur tout le monde. Cette image se superpose avec celle des militantes de Greenham qui dansaient la nuit sur le silo des têtes nucléaires. Là, les mecs sont en haut de rien du tout, mais ils nous tirent dessus.

Le lendemain matin à Melle, on se retrouve un peu par hasard à regarder la projection en avant-première d'un film qui sortira en mai, « De l'eau jaillit le feu ». Le film est l'oeuvre d'un réalisateur qui vient du cinéma animalier. Il filme à la perfection la reproduction des libellules et les paroles des naturalistes du Marais poitevin. On comprend que cette lutte s'ancre dans un territoire habité et défendu contre l'industrie agro depuis longtemps déjà. A cause des émotions de la veille, de l'inquiétude pour les blessé·es, de l'hélico qui vole non stop au-dessus de la petite ville, des escouades de motos qui font des boucles dans Melle, on fond en larmes après le film, mon mec et moi.

On se dit qu'on va repartir à Paris avec tout ça, qu'on est fièr·e de tous·tes nos camarades présent·es et que cette lutte vaut vraiment le coup.

On se dit que la question de l'utilisation des « armes non-létales » est centrale ici comme ailleurs, et qu'il va falloir désarmer la police, supprimer les Brav, défendre tout corps ayant dû subir la répression, la violence d'Etat, tout camarade interpellé. Et s'opposer à tous les discours à la con sur : « oh là là, la violence de l'ultragauche ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.