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Billet de blog 5 juin 2025

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Combien encore ?

[Rediffusion] Il en faudra combien encore de malades du cancer pour que nos représentant·es et élu·es prennent la mesure de la catastrophe en cours ? Alors que le groupe gouvernemental, appuyé par le RN, vient d’évacuer le débat parlementaire, par une manœuvre honteuse, sur la proposition de loi Duplomb, j’accompagne mon amour dans son parcours de soin, lui, chez qui les médecins ont diagnostiqué, il y a deux mois, à l’aube de ses 51 ans, un lymphome sévère.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il en faudra combien encore de malades du cancer pour que nos représentant·es et élu·es prennent la mesure de la catastrophe en cours ?

Alors que le groupe gouvernemental, appuyé par le Rassemblement national, vient d’évacuer le débat parlementaire, par une manœuvre honteuse, sur la proposition de loi Duplomb, j’accompagne mon amour dans son parcours de soin, lui, chez qui les médecins ont diagnostiqué, il y a deux mois, à l’aube de ses 51 ans, un lymphome sévère… Les hématologues lui ont demandé sa profession, car ce cancer est reconnu maladie professionnelle pour les utilisateurs et utilisatrices de pesticides !

Or, mon compagnon est professeur d’histoire-géographie dans l’enseignement agricole public… Il a enseigné plus de dix ans en Champagne-Ardenne au milieu des vignes, traitées, par dérogations successives, à l’hélicoptère, passant et repassant sur les coteaux…

Citoyen engagé (membre d’une association de vigilance pour la préservation de l’eau potable), syndicaliste, militant de longue date au Snetap-FSU, qui défend et promeut une agriculture respectueuse de l’environnement, enseignant passionné, à l’origine de la labellisation Éco-École de son lycée agricole, consommateur assidu de produits issus de l’agriculture biologique, adhérent à une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), jardinier amateur, suivant, avant de le connaître, le modèle punk développé par Éric Lenoir, lui, qui s’est battu toute sa vie contre les pesticides et autres insecticides, souffre dans sa chair depuis des mois.

Et qu’entend-il à la radio ? Pour « libérer » les agriculteurs et les agricultrices, il faut ré-autoriser un néonicotinoïde ! Les études scientifiques ont montré que les abeilles n’y survivent pas ! Leur système nerveux central est attaqué. Mais les études montrent aussi que les produits phytosanitaires tuent ou abîment les humains ! Les lymphomes font partie des cancers qui touchent le système nerveux central...

Combien de procès à engager encore, tel celui définitivement victorieux, en 2020, de Paul François contre Monsanto ? Et pour quel résultat ?

Combien de souffrances à endurer par combien de malades et leur entourage, si impuissant face à la douleur des êtres chers ?

Notre médecin traitant a évoqué les causes environnementales de ce type de maladies en ajoutant qu’il en voyait de plus en plus. Mon amour a donc été clairement empoisonné et ses chances de guérison, il les doit, paradoxalement (ou pas), à la chimie et, entre autres, à l’immunothérapie, à l’avancée de la science donc.

Combien de temps encore va-t-on se voiler la face et accepter que l’on nous empoisonne ?

Combien d’argent pour la recherche sur le cancer pour contrer les effets létaux de l’agriculture intensive, de l’agro-industrie et autres entreprises polluantes ?

Combien d’argent dépensé par la sécurité sociale pour, entre autres, les personnes en ALD (Affection de longue durée), tel·les les malades ayant un lymphome ?

Combien de victimes encore, à commencer par les agriculteurs et les agricultrices, comme le souligne l’association Phyto-Victimes qui fait un travail si important de sensibilisation auprès des jeunes de l’enseignement agricole. En tant que professeure-documentaliste, j’ai eu l’occasion, sur les conseils de ma collègue enseignante d’agronomie, de faire venir leur exposition pédagogique dans mon établissement il y a de cela deux ans.

En effet, il ne nous a pas fallu attendre d’être concerné·e au premier chef pour dénoncer les conséquences de l’agriculture intensive, ladite agriculture conventionnelle, qu’elle soit « raisonnée » ou pas. Et au-delà de notre cas individuel, nous le savons, c’est d’une question collective qu’il s’agit et, parmi les lecteurs et lectrices de cette tribune, combien vivent la même histoire ? Des centaines, des milliers, des centaines de milliers ?

Regardez autour de vous : combien de personnes touchées dans votre entourage ? Combien de personnes souffrant d’infertilité ?

Nous le savons mieux que quiconque, les politiques publiques ont une responsabilité dans la situation actuelle. Quand nous avons commencé en l’an 2000, jeunes lauréat et lauréate du concours de professorat de l’enseignement agricole public, nous avons appris que les temps avaient changé et que la « règle du tiers en plus » - toujours  mettre un tiers de produits phytosanitaires en plus que la dose indiquée -, dixit un ancien professeur de phytotechnie, n’était plus de mise. Nous constatons aujourd’hui, dans notre pratique, le dilemme dans lequel sont plongé·es nos élèves, qui doivent remettre en cause le modèle de leurs parents alors que ces derniers ont été incités par les institutions et les organisations professionnelles dominantes à utiliser massivement les pesticides.

Le monde agricole a un taux de suicide élevé et ce n’est pas évident d’en parler, mais l’omerta s’étend aussi sur les maladies qui le frappent durement. Et, dans les nouveaux programmes de l’enseignement agricole, le mot « agroécologie » est banni...

Combien de vies sacrifiées encore pour satisfaire l’appétit insatiable des agro-industriels ?

Non, la proposition de loi Duplomb ne présente pas de mesure symbolique : elle reflète le pouvoir des lobbies, et propose de poursuivre la voie qui nous mène droit dans le mur !

J’en appelle à la responsabilité des élu·es de la commission mixte paritaire : ne permettez pas que l’on ferme les yeux sur les dommages causés à tout le vivant par les pesticides !

Oui, il est possible de proposer des alternatives en réorientant les financements de la recherche !

Oui, il est possible de construire un nouveau monde où la santé prime avant tout, une santé unique (One health) qui englobe toutes les espèces de la Planète !

Le pouvoir de décision est entre vos mains. De notre côté, nous continuerons le combat collectif et poursuivrons notre engagement militant.

Parce qu’individuellement, je ne peux que regarder mon cher amour endurer, avec tout son courage, le lourd traitement, et l’accompagner en lui rappelant combien je l’aime.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.