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Billet de blog 21 mai 2011

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Je me suis éveillée orpheline

Il y a quelques semaines, je me suis éveillée orpheline. Sur la pointe des pieds, presque en catimini, il est parti Papa.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a quelques semaines, je me suis éveillée orpheline. Sur la pointe des pieds, presque en catimini, il est parti Papa.

La semaine précédente, nous avions eu notre dernier échange.

J'ai froid me dit-il

Je lui remonte la couverture en lui caressant les cheveux - j'adorais lui passer la main dans les cheveux.

J'ai mal me dit-il.

Ils arrivent Papa, c'est les calmants qui ne doivent pas être bien dosés.

Et là brutalement, teint cireux, lèvres blanches, comme une redite des dernières minutes de vie de Maman, onze ans plus tôt. Panique à bord.

Branle bas de combat de l'équipe médicale. Stabilisation provisoire. Examens, briefing, débriefing, certitude, incertitude, les heures passent. Infection - Décision - évacuation en réa chirurgicale au CHR. Il est 21h30, je roule vers le CHR derrière le SAMU.

Le temps est suspendu, comme un ralenti de cinéma, dans ce hall plein de détresse humaine, brutalement nous sommes seuls, il ouvre les yeux, je lui souri, lui fait signe au revoir. Les portes de l'ascenseur se ferment sur lui.

Retour la maison avec tant de questions sans réponses. Premier tête à tête avec la bouteille de Chartreuse et dormir.

Le lendemain, le couperet tombe. Choc septique très violent. Pronostic vital engagé. Bienheureux coma artificiel qui le laisse serein là ou son corps mène un violent combat qui sera le dernier.

Et le temps se ralenti, au rythme régulier du respirateur et des bips du monitor. Cette semaine est comme une parenthèse dans cette vie, elle laisse du temps au temps. Et je parle, ne sait s'il m'entend, mais je parle. Je lui dis tout, du plus banal au plus profond. Sa douleur s'effacée, la mienne ne fait que commencer.

Je t'aime m'avait-il dit une semaine auparavant. Moi aussi lui avais-je répondu un peu bêtement avec un bisou sur le front.

Et voila, c'est arrivé, nous sommes au bout. Les bips s'affolent et son temps file.

Il est un peu plus deux heures du matin, je suis sous son arbre, dans son jardin, la bouteille de Chartreuse est vide, le téléphone sonne.

Il s'appelait Michel Evariste Henri et s'est éteint à 1h55 le 16 Avril 2011

L'espace qui sépare l'incroyant de la foi n'est qu'un souffle

Ce qui sépare le doute de la certitude n'est qu'un souffle

Passons donc légérement cet espace précieux d'un souffle

Notre vie n'est séparée de la mort que par l'espace d'un souffle

Omar Khayyam

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