La sonnerie de la porte d'entrée retentit. Jeanne se lève, enfile son tee-shirt. Elle ne se presse pas, descend lentement les escaliers, traverse le salon, ouvre. Christian, son deuxième mari, en fauteuil roulant, lui tend les bras. Ses doigts sont devenus de longs tubes métalliques pointus, effrayants. Jeanne crie. Elle ouvre les yeux, sent un corps contre le sien, une tête est posée sur son épaule. Alice ronfle doucement, paisiblement. Jeanne rassurée s'oblige à ne pas faire le moindre geste. Mais pourquoi Christian est-il remonté du fond de son inconscient? Il y a 15 ans que Jeanne n'avait pas refait ce cauchemar terrifiant. Christian avait hanté ses nuits pendant deux longues années avant qu'elle ne rencontre Pierre. Il n'avait rien à voir avec ses 2 autres maris. C'était un champion de moto, le seul qu'il n'y ait jamais eu en France dans sa catégorie. Leur histoire avait commencé bien des années avant. Ils s'étaient retrouvés tous les jeudis, samedis et dimanches à la Villa Rostand. Un lieu improbable et étonnant qui avait été leur seul "jardin public" durant l'enfance pour le moins effarante qu'ils avaient en commun. Leurs mères à tous deux étaient de ces hypocondriaques extrémistes, assez nombreux faut croire, pour avoir créé dans un hôtel particulier du 18ème siècle, un endroit de rencontre parfaitement aseptisé où pouvait se retrouver, sans craindre la moindre contagion, la fine fleur de l'hypocondrie parisienne et sa descendance. Jeanne avait quatre ans, elle était aux anges, c'est la première fois qu'elle sortait de la maison de Sèvres. Ce matin là, Louise était venue réveiller Jeanne et lui avait expliqué qu'elle était assez résistante maintenant pour sortir.
Elle l'amenait dans un endroit de rêve où elle allait faire la connaissance, sans aucun risque, d'enfants comme elle. Jeanne n'avait aucune idée de ce que pouvait être un enfant comme elle et encore moins d'un enfant tout court d'ailleurs, puisqu'elle n'en avait jamais vu. Aussi, sa première visite à la Villa Rostand lui parut absolument merveilleuse. Après un court trajet dans la voiture aux vitres teintées noires de sa mère, elles coururent heureuses main dans la main jusqu'à l'imposant escalier de la Villa. Une grande porte vitrée coulissante étrangement moderne s'ouvrit automatiquement à leur arrivée, leur donnant accès à une deuxième porte d'un blanc clinique, percée de 2 hublots. Louise la poussa fermement pour entrer cette fois dans une salle carrelée, composée d'un grand nombre de cabines et de placards sur un côté, de l'autre une rangée de douches. Une fois déshabillées, Louise apprit à Jeanne comment ranger ses vêtements dans le casier qui portait leur nom et à utiliser ce drôle de produit orangé sous la douche. Des peignoirs blancs immaculés étaient rangés dans des casiers. Louise indiqua à Jeanne qu'elle devait se servir dans le casier numéroté 1 tout en bas, le casier pour les enfants de 4 à 6 ans et sonna. La porte s'ouvrit face à un gigantesque escalier qui menait au premier étage. La porte de gauche signalait l'"Espace enfants". Une nurse tout en blanc, coiffée d'un bonnet chirurgical se précipita à leur arrivée. Louise lui présenta Jeanne en deux minutes et s'en alla. Ingrid prit Jeanne par la main et l'entraina vers une immense salle de jeux. Elle appela un petit garçon d'à peu près 6 ans et lui demanda d'expliquer à Jeanne comment utiliser toutes ces merveilles. Christian fut le premier enfant que vit Jeanne. Le sourire radieux qui fit pétiller ses yeux était si communicatif que le petit garçon se mit à rire. Jeanne rit aussi. C'était la première fois. Christian pris son rôle de guide très au sérieux et ne quitta pas un instant Jeanne de la journée. Par la suite, rien ne changea, Christian attendait Jeanne derrière la porte et n'allait jouer et retrouver les autres qu'avec cette petite main, devenue si précieuse pour lui, dans la sienne.
Billet de blog 2 avril 2013
BLOGUEUSE XI
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