Jeanne est couchée. Elle commence le livre de Pierre Magnan que lui a conseillé Joël, l'excentrique libraire installé au rdc de son immeuble. C'est la première fois qu'elle tient compte de son avis.
Cette fois-ci, elle n'a pas pu refuser, il lui a offert le livre. Alors elle fait un effort.
"... Je venais juste d'acheter le corbillard qui devait faire ma fortune."...
Jeanne soupire. C'est pas ce livre qui va chasser Bertrand de son esprit. Jeanne n'en revient pas. Elle est attirée par Bertrand physiquement. C'est incroyable, elle a ressenti du désir rien qu'en échangeant des mails. Il est énigmatique et il est drôle. Sa façon d'écrire concise, ses goûts musicaux multiples et étranges lui plaisent. Et il dit qu'il aime ne rien faire, buller. Il ne prend pas de posture, ne joue pas de rôle, pas la peine. Pour Jeanne, c'est devenu vital. Lui aussi est très attiré par elle. Elle ressent cette réciprocité. C'est très troublant. Jeanne perçoit clairement la possibilité d'un même rythme, d'un accord spontané. Jeanne s'endort vite pour la première fois depuis 1 an et 18 mois.
Elle est réveillée par la sonnerie du téléphone. Jeanne dort nue. Pas même une chaine, une bague. D'ailleurs, elle n'en porte jamais. Elle se lève d'un bond, son corps est athlétique, musclé. Sa taille très fine fait ressortir des fesses plutôt potelées. Il est 11 heures. Qui ça peut être? Elle hésite. Elle n'aime pas être brusquée le matin. Elle se décide à répondre.
- Allo...
- Bonjour Jeanne, Alice. C'est horrible! La galerie a été cambriolée. Il manque une série de "6 et 8 figures".
- C'est pas très grave, Alice, ça arrive! et j'en ai d'autres de cette série!
- Nous sommes tellement désolés...Jeanne! Pouvez-vous passer à la galerie tout à l'heure?
Jeanne en riant :
- Alice, on s'en fout! Je viens pour déjeuner, j'vous invite. On ira à La Palette.
- Oh, oui!, J'espère que Jacques me laissera un peu de temps!
- Il ne pourra rien me refuser. Vers 13 heures?
- Oui, merci Jeanne, à tout à l'heure!
Jeanne enfile un long tee-shirt d'homme et descend faire son thé.
Alice a encore les yeux très rouges quand Jeanne arrive à la galerie. Jacques se précipite vers elle, l'embrasse. Ils se connaissent depuis longtemps et se reconnaissent. Autour d'eux, beaucoup d'amitié factice, beaucoup de solitude. C'est ce qui les a rapproché.
- Jeanne, j'ai essayé de rassurer Alice, mais tu vois, elle est encore sous le choc. Cette histoire m'emmerde profondément aussi et je suis désolé pour tes toiles, même si nous sommes assurés, tu ne les retrouvera jamais. C'est vraiment con, quand je pense que nous avions bossé comme des fous pour le vernissage de mercredi. Tout est à refaire.
- Mais non! Je vois qu'ils ont fait ça très proprement! Vous serez prêts mercredi. Juste choisir chez moi d'autres toiles, tu sais combien Pierre était productif!. Il n'y aura que quelques rectifications à faire sur la liste des toiles.T'as une drôle de tête toi aussi?
- C'est vrai! Il y a autre chose! J'aimerais t'en parler. Tu es libre pour déjeuner?
- Hum! je voulais inviter Alice pour lui remonter le moral...
- Et bien venez toutes les deux! On va se remonter le moral tous les trois! D'accord?
Jeanne et Alice lui sourient.
- D'accord!
Jacques a sa table réservée à la Palette, bien tranquille dans la salle de derrière.
- Jeanne, Alice. J'ai besoin de votre sentiment. Je ne peux plus me retenir d'en parler... Je suis complètement paumé!
Jeanne et Alice se regardent étonnées. Jacques reprend, il parle vite, son émotion est très forte.
- Il y a pile 1 an aujourd'hui, j'ai rencontré une femme à la galerie. Elle s'appelle Delphine. Ma journée lui était consacrée, c'est pour ça qu'Alice devait être seule aujourd'hui. C'était tellement important pour elle et moi cette journée! Pour la 1ère fois de ma vie, j'ai pensé à quitter Gabrielle. Pourtant, je ne peux encore m'y résoudre. J'aime ces deux femmes profondément. Gabrielle si tendrement, Delphine passionnément. Je deviens fou. Me passer de Delphine est chaque jour de plus en plus difficile. Notre relation est grandiose, magique. Je l'aime totalement, tout son être me ravit, me subjugue...
-Et si...
-Et si?
- Si tu ne choisissais pas?
Jacques la regarde sidéré.