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Billet de blog 8 décembre 2012

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BLOGUEUSE III

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeanne est rentrée. Elle habite un loft atelier sous les toits que Pierre avait déniché. Il y plagiait allègrement
Jackson Pollock, lequel avait plagié aussi toute sa vie, mais peu importe, elle n'en avait plus rien à foutre 
maintenant de savoir qui était un créateur ou pas. En tout cas, même mort, Pierre la faisait vivre et bien.
Elle sort son Canon de la boîte. Merde, c'est un sacré truc de pro qu'elle a acheté, à cause de Bertrand.
Et il coûte du fric, bon, c'est pas grave, ça sera son cadeau d'anniversaire. Elle s'était pas foutue de sa gueule, Jeanne, en s'offrant cet appareil. Il allait lui falloir des heures pour piger un vingtième de ses capacités, mais elle allait faire de sacrées bonnes photos d'après c'qui était écrit. Elle était incapable de se concentrer sur le manuel, elle pensait déjà aux photos qu'elle voulait faire pour Bertrand. Le loft est un duplex de deux cents mètres carrés. En haut dans l'atelier, restaient encore plus de trois mille toiles soigneusement roulées. Quoiqu'on puisse dire de Pierre, le truc, c'est que c'était un sacré bosseur. C'est sûr qu'il avait pas dormi beaucoup dans sa vie, son troisième mari. Jeanne était à l'abri de la pauvreté sa vie entière, sauf si sa cote dégringolait. Mais, Jeanne se foutait de l'argent. Normal, elle en avait jamais manqué, ni gagné. Elle avait fait un cursus Lettres modernes et Etudes cinématographiques à Jussieu, obtenu sa licence, sans trop savoir comment. C'est à ce moment là qu'elle avait rencontré son premier mari dans un café de la Sorbonne. Lui refaisait le carré blanc de Malévich à l'infini, rajoutant un signe à lui, un seul chaque fois différent. Pas de scrupules, juste une grande détermination dans le foutage de gueule. Totalement cynique et très drôle, il avait décidé d'épouser Jeanne pour le superbe faire valoir qu'elle représentait. Jeanne avait plus ou moins décidé de ne pas travailler par principe. Un principe pas du tout idéologique, seulement la revendication d'une paresse totalement assumée et proclamée. Elle avait quand même une passion, lire et c'était presque son unique activité. Elle détestait le sport, parlait peu. Son autre activité c'était les hommes, elle les aimait inconditionnellement, cherchait à les séduire. Enfin, pas tous évidemment, ceux qui la faisaient craquer avaient en commun leur excentricité et leur humour.
Jeanne se tient devant l'escalier qui monte à l'atelier et à sa chambre. Elle le prend en photo. Puis, dans la chambre, elle prend en photo sa table de nuit, très encombrée : cinq livres, au dessus de la pile, le livre de Doris Lessing, le Carnet d'or, assez abimé, une crème pour les mains, un tube d'asprine Upsa vitamine C, un autre de Citrate de bétaïne citron, un sirop Humex pour la toux, du Lexomil, une paquet de biscuit Gerblé vitalité, des ciseaux à ongle, une lime, un verre et une bouteille d'Evian, deux paires de lunettes, un reste de yaourt et une cuillère dedans. Ensuite, elle ouvre son armoire qui prend tout un mur et photographie ses fringues, des piles de jeans de toutes les couleurs, des centaines de tea-shirt, beaucoup à rayures ou noirs, beaucoup de robes aussi, surtout d'été, deux cents chaussures. Jeanne se retourne prend son lit en photo, il est défait, les draps et la couette sont de couleur beige claire. Un banc au pied du lit déborde de vêtements. Elle pousse quelques fringues, attrape des livres posés à terre et les empile sur le banc, elle pose l'appareil, déclenche le retardateur, s'assied en tailleur contre la tête du lit.

Très concentrée, elle adresse à Bertrand un sourire doux, le plus heureux possible.

Ca dure dix secondes et c'est très long.

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