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Billet de blog 20 janvier 2013

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BLOGUEUSE VII

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeanne déguste en silence son verre de Pauillac. Avant l'âge de 30 ans, Jeanne n'avait jamais bu une goutte d'alcool. Elle était persuadée qu'elle était alcoolique, comme son père et sa mère. Pour l'anniversaire de ses 30 ans, son 2ème mari, qui ne supportait pas cette peur pourtant légitime, l'avait forcée à boire un verre de Champagne. C'était bon, elle en avait repris un deuxième et s'était arrêtée là sans aucun problème. Apparemment, elle avait échappé à l'atavisme familial. Ses parents, grand parents, tantes, oncles, cousins s'étaient tous appliqués avec un soin méticuleux à être à la fois fumeurs, alcooliques, opiomanes ou cocaïnomanes, selon les époques. Seule survivante de cette famille de lettrés déjantés, elle avait eu la chance de n'hériter que du plaisir des lettres. 
Jacques reprend :
    - Tu te moques de moi?
    - Pas du tout!
    - Je ne comprends pas!
    - C'est pourtant facile à comprendre! Tu aimes et tu es aimé de deux femmes, alors, profites-en, au lieu de te plaindre! Lache-toi! Rends-les heureuses! Pourquoi choisir?
    - Je ne suis pas ce genre d'homme!
    - Ca fait déjà un an que tu le fais, alors, 1 an ou 10 ans, où est le problème?
    - Justement, je deviens fou!
    - Pourquoi?
    - Mentir, me cacher, culpabiliser, ne jamais bien vivre le moment présent...
    - Ne mens plus!
    - Tu crois que c'est facile!
    - Tu n'aimes pas deux idiotes, n'est-ce pas?
    - Sûrement non!
    - Alors, mets leur un marché en main : "Nous vivons cette histoire ensemble, tous les trois, moitié du temps pour chacune, ou je deviens fou, je pète les plombs, je disparais!".
Jacques pousse un énorme soupir.
    - Qui pourrait accepter ça?
    - Deux femmes qui t'aiment! On parle d'amour, n'est-ce pas? Pas d'aventures amoureuses minables qui ne servent qu'à nous faire oublier la peur de mourir?
Une lueur d'espoir se lit dans les yeux de Jacques.
    - Je peux essayer, oui, je crois qu'je peux!


Alice s'est faite toute petite pendant cette discussion. Elle a réussi à faire croire qu'elle avait disparu. Jeanne la regarde avec étonnement. Elle se rend compte qu'elle ne sait pas grand chose d'Alice au fond. Elle va essayer d'en savoir un peu plus à partir de maintenant. 


Jeanne est rentrée chez elle. Elle va à son ordinateur. Elle a reçu un mail.

    De Bertrand
   
Sujet Jeanne
   
Pour Jeanne 
   
3 pièces jointes.    

Jeanne, vous m'impressionnez!
     
Vos photos m'impressionnent!
     
Belles, sobres, insolites, troublantes...
     
En avez-vous fait avant?
     
Votre voix m'impressionne!
     
Posée, assurée, un brin autoritaire...
     
Ca ne me surprend pas!
     
Votre personnalité m'impressionne!
     
Hors du commun, limpide, triomphante...
     
Avez-vous toujours été comme ça?
     
Votre beauté m'impressionne!
     
Surprenante, inclassable, naturelle...
     
Je vous attends depuis si longtemps!

Donc, j'arrête la photo d'art.
     
Comme, à mon âge, 52 ans, il est difficile de changer totalement sans se prendre le mur.
     
Je vais faire, avec votre accord, des photos de femmes.
     
Des photos de mannequins accessoirement pour gagner ma vie.
     
Des photos de vous, surtout!

Les photos que je vous envoie sont des portraits de femmes prises à la dérobée dans la rue. J'en ai choisies 3... toutes les trois ont une petite chose de vous...que vous repérerez tout suite...
     

A bientôt, Jeanne.

Bertrand.

Jeanne regarde les 3 photos. Toutes magnifiques. Trois femmes très différentes. Aucune n'est particulièrement belle. Toutes ont un détail qui les rend remarquables. Sur la première photo, Bertrand a pris une femme de loin, son corps gracile, à la taille extrêmement fine, se rapproche de la perfection. Sur la deuxième, on y voit en gros plan une très jeune femme, sa bouche si bien dessinée, étonnamment petite et charnue, d'un rose foncé magnifique, a un pouvoir d'attraction rare. Sur la dernière, Bertrand a pris en photo une femme dont les yeux magnifiques, ensoleillés de rides, jolies et fines, semblent le regarder avec confiance.


Elle monte dans sa chambre, prend le Canon resté sur le banc devant le lit. Elle a lu presque toute la doc maintenant. Elle règle la distance, puis la luminosité de manière à obtenir une lumière chaude.
Jeanne se déshabille, s'observe attentivement dans la glace. Elle ne s'aime pas vraiment, mais elle aime le regard des hommes sur elle. Elle réfléchit à ce qu'elle peut montrer, ce qui est encore très attirant, ce qui l'est moins. La manière dont elle va se photographier révèlera plus de son intimité que les photos elles-mêmes. C'est la perception qu'elle a d'elle-même, de son corps qu'elle veut communiquer à Bertrand. Elle veut que ces photos d'elle nue, insensées à ce stade de leur relation, tissent entre eux un lien inédit, intime, exceptionnel, auquel Bertrand aura à répondre par une symétrie parfaite.
   

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