Au moment où le centre de recherches indépendant Arab Reform Initiative publiait son rapport annuel, classant le Liban en tête des pays arabes en termes de progrès démocratiques, un fait divers sanglant a, vendredi dernier, porté un coup d'arrêt à ces conclusions optimistes et secoué le pays par sa violence spontanée et collective.
Mercredi 28 avril, deux enfants et leurs grands-parents sont retrouvés égorgés dans le village de Ketermaya, situé à 25 km de Beyrouth. Ce drame n'est que la première étape des événements tragiques qui ont suivi : un ouvrier égyptien de 38 ans, sur qui portent immédiatement les soupçons de la police (ou « forces de sécurité intérieure, FSI »), est arrêté. Pendant son interrogatoire, l'homme est supposé avoir avoué le quadruple meurtre. Mais le tee-shirt tâché de sang retrouvé chez lui ne peut être identifié formellement que 48h plus tard. Et les FSI ne trouvent rien de mieux que d'organiser une reconstitution des événements le jeudi, soit le lendemain des meurtres, dans le village où la colère des habitants est encore intacte.
Très vite, les quelques FSI en charge de la sécurité du « présumé coupable » se retrouvent dépassés en nombre par une foule de centaines de personnes, criant et applaudissant quand des hommes du village s'emparent du détenu et le tabassent violemment. Les FSI parviennent à récupérer l'homme et à le conduire à l'hôpital mais la foule les suit, l'homme est récupéré, et, cette fois, il est déshabillé, battu, poignardé, traîné à l'arrière d'une voiture, puis pendu sur la place publique – littéralement – à un poteau électrique, à l'aide d'un croc de boucher.
L'assassinat collectif a lieu en plein après-midi, devant une foule consentante, parmi laquelle nombreux sont les vidéastes et photographes amateurs, dont les oeuvres feront la une des journaux le lendemain. "On referait la même chose", a même assuré un habitant de Ketermaya à l'AFP. Le jour même, le ministre de l'Intérieur a convoqué en urgence le directeur général des fameuses FSI et il a été murmuré que les personnes en charge seraient démises de leurs fonctions. Mais trop tard.
Car cette histoire, dont la violence rend faiblard le terme de « fait-divers », fut d'abord l'occasion pour une grande partie de la presse libanaise de montrer son manque de dignité : l'Orient le Jour, notamment, a cru bon de publier en une la photo du corps encore ensanglanté de l'homme fraîchement pendu par une foule enthousiaste.
Immédiatement, l'affaire a également fait ressurgir les divisions confessionnelles et le racisme latent, d'abord, puisque les « Allah akhbar » criés par la foule ont été retenus par les non-musulmans comme la preuve ultime, s'il en fallait une, de la barbarie de l'islam et, ensuite, car la nationalité de l'homme – égyptienne – a été maintes fois mises en avant, comme indice de sa culpabilité probante.
Enfin, les commentateurs ont eu l'air soulagé quand il a été confirmé que le sang du tee-shirt retrouvé chez l'homme correspondait bien à son ADN : le présumé coupable devenait ainsi officiellement coupable, bien que post-mortem. Le plus choquant dans cette histoire fut donc son épilogue : pour beaucoup, l'essentiel résidait dans l'accomplissement de la justice – même spontanément, même sauvagement – et non pas dans la méthode, désavouant ainsi le système judiciaire libanais et les structures démocratiques que celui-ci est censé défendre.