Ils n'étaient pas beaucoup à sortir de chez eux ce dimanche soir, malgré le froid et la pluie jamais très loin. Ils se sont pourtant réunis, sur une initiative de Human Rights Watch, d'abord à Zico House, résidence d'artistes du quartier de Hamra. Ils ont mangé des plats typiques des Philippines, sur fond de douce samba brésilienne, en l'honneur de.
Ils se sont ensuite amassés pas très loin de là, une bougie à la main, au pied d'un immeuble du cosmopolite et chic quartier de Hamra, là où une jeune femme est « tombée » du 6e étage en février dernier. Suicide ou chute accidentelle ? Difficile à dire. D'autant plus que les témoignages des voisins recueillis par Human Rights Watch ne concordent pas : l'une affirme que la jeune fille travaillait là depuis des années, un autre dément et déclare qu'elle était en visite. On ne saura pas.
Les vingt, puis les trente, puis les quarante qui sont là ce soir ne sont pas là pour savoir, ni pour comprendre. Mais pour rendre hommage à ces jeunes filles (la plupart ont entre 20 et 30 ans) qui, après avoir quitté leur pays natal pour échapper à la précarité de leur condition, se retrouvent propulsées au Liban chez un employeur où elles découvrent qu'elles n'ont aucun droit.
En brandissant des posters avec les noms de toutes les jeunes filles décédées en octobre dernier, les quarante, puis les trente, puis les vingt, ont remonté les rues de Hamra, espérant accrocher les regards des passants. Quelques voitures ont ralenti, pour voir, qui était ce groupe de jeunes (beaucoup d'entre eux, malheureusement, expatriés).
Car c'est toujours la même histoire qu'on entend, à quelques variables près. Pour nourrir sa famille – de jeunes frères et soeurs, un enfant, des parents -, une fille née aux Philippines, au Sri Lanka, en Ethiopie ou au Népal a recours à une agence libanaise, que parfois elle paye plusieurs milliers de dollars, somme sacrifice sensée l'assurer d'une vie meilleure. Elle part pour le Liban pour y devenir employée d'une grande entreprise, ou vendeuse. Elle est pleine d'illusions sur la respectabilité de son futur métier, de son futur statut, impatiente de toucher ce salaire qui pourra faire vivre sa famille restée au pays. A son arrivée, elle comprend vite qu'on s'est bien foutu d'elle (les employeurs sont souvent plus stricts pendant les premières semaines de travail d'une nouvelle domestique, pour mieux la « former »). Il est déjà trop tard : l'agence a gardé son passeport et elle se retrouve prisonnière d'un employeur qui a très concrètement droit de vie et de mort sur elle, comme dans la Rome antique, puisqu'aucun recours légal n'est à sa disposition. Si jamais elle parvient à s'enfuir et se rend à son ambassade pour y trouver de l'aide, elle se voit confiée à la police qui, pour un motif fallacieux invoqué par l'employeur – rancunier -, l'envoie en prison. Ni plus ni moins. On comprend mieux ce qui peut pousser ces jeunes filles isolées à sauter du 6e étage ou à se pendre dans l'appartement de leurs employeurs.
Parce que l'histoire varie peu selon les témoignages, parce qu'elle fait les gros titres de la presse anglophone et très rarement ceux de la presse francophone libanaise, parce que la situation est un tel tabou que je n'en avais jamais entendu parler une seule fois depuis la France, parce que le Liban se targue d'être le pays le plus libéralisé du Moyen-Orient, parce que Human Rights Watch a déclaré le mois d'octobre 2009 « mois sanglant pour les domestiques étrangères au Liban » (2 morts par semaine versus la moyenne habituelle de 4 morts par mois), il faut que ça change.
Parce qu'elles sont encore 200.000 en activité aujourd'hui, à travailler en moyenne 16 à 17 heures par jour pour un salaire d'environ 100-150 dollars par mois, et ce, sans jour de congé (sauf pour les plus chanceuses), parce qu'elles sont loin de toutes bénéficier d'un espace privé chez leurs employeurs, parce qu'elles ne sont pas considérées comme des êtres humains, il faut que ça change.
Ca ne suffit pas que des associationsse battent et créent des « safe houses » où les jeunes fugitives trouvent un toit. Ca ne suffit pas que le ministre de l'Intérieur Ziad Baroud rencontre les ambassadeurs des Philippines, de l'Ethiopie et du Sri Lanka et leur promette des « changements ». Ca ne suffit pas que la seule promesse arrachée au ministre soit leur transfert futur de la prison de la Sûreté Générale, construite en souterrain (!), vers une prison plus conforme aux droits de l'homme.
Ca ne suffit pas alors on continue. On s'organise. Et on ne les oublie pas.
En savoir +
http://edition.cnn.com/2009/WORLD/meast/11/24/lebanon.suicides/index.html
http://angryarab.blogspot.com/2009/10/hanging-from-tree-that-lousy-homeland.html
http://www.nowlebanon.com/NewsArchiveDetails.aspx?ID=123592