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Billet de blog 10 septembre 2011

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"La révolution, on l'a faite en 1988". Chronique d'un taxi algérois

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A l'entrée d'Alger, sur la route de l'aéroport, la statue d'un homme courbé sous le poids d'une lourde charge domine le flot des voitures. Le chauffeur du taxi saisit l'occasion pour prendre à témoin les rares touristes qui occupent son véhicule : "C'est ça, la vie en Algérie ! Les gens travaillent tout le temps". Quelqu'un suggère, sans finesse, qu'une révolution pourrait changer les choses. La réponse du chauffeur fuse. Le mot révolution déclenche un soliloque difficile à interrompre.

"Ah, mais la révolution on l'a faite en 1988 et on s'est engouffré dans un tunnel de quinze ans ! La révolution, on sait quand ça commence mais... on l'a payé cher ! On a perdu quinze ans de notre vie qu'on ne nous rendra jamais. Tu vois ce que c'est, quinze ans, dans la vie d'un homme ? Ceux qui avaient trente ans en ont quarante-cinq aujourd'hui, qu'est ce que tu veux qu'ils fassent ? Et je ne parle pas des morts ! 400.000 morts ! Et peut-être même plus de 500.000 ! On ne saura jamais".

"Les gens aujourd'hui sont différents, ils sont plus durs. Ils descendent dans la rue pour manifester, et ça, c'est bien ! Pas la révolution. Tiens, je te donne un exemple. Hier, il y a eu des manifestations à côté du palais présidentiel". Il sort un journal de la boîte à gant pour preuve ; l'illustration en une montre une scène d'émeutes en pleine rue. Des jeunes courent et lancent des pierres. "600 familles sont relogées à 25km d'Alger dans des F4 au lieu d'être entassées dans des F2 dans le centre. Avant, ils n'auraient jamais manifesté, ou alors tout le monde aurait fini en prison. Aujourd'hui, ils sont arrêtés pour quelques heures et après on les relâche. Ils vivent dans des appartements grands comme des boîtes d'allumettes, on leur propose le confort et ils ne sont pas contents. Non, les gens, il faudrait leur apprendre où sont leurs droits et où sont leurs devoirs. Si tu dis à quelqu'un : "Tiens, voilà tes droits, mais en échange, il faut aussi que tu remplisses tes devoirs", ça peut marcher. Mais les gens pensent qu'ils n'ont que des devoirs ou que des droits.

"Aujourd'hui, les gens veulent devenir riches sans travailler. Ce qu'il faut, dans ce pays, c'est plus d'éducation. Eduquer les jeunes. Ils porteront le pays. Les enfants du président, qu'est-ce que tu crois, ils sont partis à l'étranger, ils ne veulent pas revenir ici ! Moi, mon fils, il ne fera pas taxi, c'est normal. C'est à moi de le pousser, d'avoir assez d'argent pour son éducation, comme ça il pourra devenir ingénieur. L'éducation, c'est important. Kaddhafi aurait dû le comprendre. Avec 6 millions d'habitants et assez d'argent pour 600 millions de personnes, il aurait pu faire de la Libye un pays de savants ! Mais non, il s'est méfié, et voilà, maintenant il est parti dans sa caravane au Niger.

"La révolution, la révolution. Qu'est ce que tu crois, que ceux qui font la révolution en Libye sont ceux qui vont gouverner ?".

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