Ca clignote, au Caire. Dans les immeubles, où l'électricité s'évapore des fils comme sous l'effet de la chaleur à venir, et dans les voitures, où l'icône en forme de pompe passe du vert au rouge. Tic, tac.
C'est aussi la saison des rixes devant les stations essence et, tous les deux jours, le défilé des doléances devant le Ministère des Transports. Le pays a soif de carburant. Le pays, bientôt, aura aussi soif de blé. La liste des courses est longue, la famille, nombreuse et la bourse nationale, plate comme la place Tahrir. On aurait presque envie d'aller acheter des sacs de riz et des bidons d'eau au supermarché, au cas où.
A l'oeil nu, tout a l'air normal. Au marché, les voisins défilent pour acheter du pain et des légumes frais. Dans les cafés, les buveurs de thé, les joueurs de backgammon et les supporters de football tiennent le pavé. Des jeunes attendent le dos collé au mur que la journée passe, aujourd'hui comme hier. Ils jouent avec une mobylette à l'arrêt, sifflent les passantes.
Mais s'il faut de bonnes jumelles pour observer la disparition des devises depuis les réserves de la banque centrale, personne n'a besoin de lunettes pour déchiffrer les étiquettes aux chiffres explosés. On rajoute des virgules, on rature le carton. Fois deux. Fois dix. Pour calculer l'effondrement du taux de change non plus, d'ailleurs, il ne faut pas de verres grossissants. C'est à la portée du premier venu capable de faire une règle de trois.
Du côté du gouvernement, les calculettes chauffent. Des règles de trois, justement, ils en font tous les jours. Pour calculer combien de jours de blé il reste avant de commencer à voir les fronts perler. Combien de billets de un dollar au fond de la caisse, combien de cartes de subvention à supprimer, combien de produits à taxer.
Ce qu'il faudrait, c'est une équation salvatrice, celle qui résoudrait d'un coup toutes les inconnues nationales.
f(Egypte) = Qatar / (FMI²+UE) + x
Le gouvernement pense à des solutions alternatives et le gouvernement a raison. En mathématiques, ce n'est pas le résultat qui compte, c'est le raisonnement. En économie, c'est l'inverse.
La méthode du chiffon rouge, Pythagore n'y avait pas pensé. En Egypte, les dirigeants ne perdent pas leur temps à calculer le carré de l'hypoténuse, ils crient directement au blasphème. Ca n'a rien à voir avec les réserves de blé, mais ça marche quand même.
Les humoristes y passent, les journalistes aussi. Des cocktails molotov sont lancés sur une cathédrale. Il ne faut pas lésiner sur l'hystérie collective. Chiffon rouge, tangente absolue du triangle rectangle égyptien.
Les bons samaritains engagés dans la chasse aux sorcières ne peuvent pas en même temps surveiller une manifestation et manifester, c'est une question de bon sens. Pendant qu'ils fabriquent des potences pour les voleurs de gasoil, les citoyens vigilants n'escaladent pas les poteaux électriques, ils ne glissent pas les mots qui fâchent dans des slogans (« pain », « riz », « subventions ») et, surtout, ils ne foutent pas le feu à des stations d'essence en panne.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/04/05/l-egypte-ecartelee-entre-reformes-et-peur-de-la-rue_3154752_3234.html
http://www.liberation.fr/monde/2013/04/02/deux-jeunes-lynches-le-terrible-miroir-d-une-egypte-a-la-derive_893185