Avec des taux d'intérêt à faire pâlir d'envie n'importe quelle banque américaine, les banques libanaises et leurs liquidités massives ne semblent pas avoir été affectées le moins du monde par la crise financière de 2008. Comment expliquer cette pirouette du pays du Cèdre ?
Est-ce parce que la principale mission des banques libanaises consiste à avancer des fonds à l'Etat pour payer son déficit ? Ou faut-il y voir simplement une récompense de la politique conservatrice de la banque centrale ? Marcus Marktanner, professeur d'économie à la prestigieuse université américaine de Beyrouth, a répondu à quelques questions visant à éclairer cette situation apparemment enviable.
Quand est-ce que la relation entre l'état libanais et les banques commerciales libanaises a t-elle commencé à être si fusionnelle ?
Les banques libanaises ont toujours été politisées. Dans les années 50-60, elles étaient un refuge pour les capitaux. On préférait placer son argent au Liban plutôt que de le laisser dans des pays arabes en proie à des expérimentations socialistes. Après la guerre civile, sous l'effet des besoins de la reconstruction, le Liban attira de nouveau plus de capitaux qu'il ne pouvait en produire. Les banques libanaises se sont donc retrouvées à un poste stratégique. Tout le monde était content de participer aux frais de reconstruction, bien que la dette du pays fut déjà galopante. Pour autant, la dette libanaise doit être remise dans son contexte : 150 ou 200% du PIB semblent représenter un niveau d'endettement colossal. Mais, concrètement, il ne s'agit que de 40 milliards de dollars, soit la somme que gagne l'Arabie Saoudite en un an avec le pétrole. Le Liban peut donc être tiré d'affaire assez facilement.
Est-ce que le Liban entre dans la catégorie des états privatisés ?
En tout cas, le Liban souffre de l'absence d'isolement du gouvernement vis-à-vis des groupes de pression économiques du pays.
Comment se fait-il que, encore aujourd'hui, les banques libanaises puissent proposer des taux d'intérêt défiant toute concurrence (aux alentours de 8%) ?
Le fait que le Liban n'ait pas été affecté par la crise financière mondiale n'en fait pas pour autant un lieu sûr pour les investisseurs. Le Liban comporte des risques qui sont tout à fait indépendants du cours du marché mondial. Le pays souffre notamment de graves incertitudes tant au niveau de sa politique intérieure que de sa situation géopolitique.
Nombreux sont les expatriés libanais travaillant dans les pays du Golfe qui ont été licenciés après le début de la crise. Quel impact cette vague de licenciements aura t-elle sur l'économie du pays ?
Les versements des expatriés représentent 25% du PIB libanais, dont 10 à 15% viennent du Golfe, où environ 400.000 libanais travaillent. En moyenne, on peut dire que chaque libanais licencié dans le Golfe réduira les versements au Liban de 25.000$.
Quelles seront les conséquences de la faillite de Dubai sur l'économie libanaise ? Ne s'agit-il pas du premier coup d'arrêt subi par le Liban depuis le début de la crise financière ?
La crise de Dubai est une menace pour le Liban à court terme, mais une opportunité à long terme. A court terme, en effet, une baisse des versements réduira la demande totale et pourra même potentiellement entraîner le Liban dans un cycle de récession. En revanche, sur le long terme, le Liban pourrait sortir gagnant de la crise de Dubai. Mais pour cela, il faudrait que le Liban utilise ses liquidités actuelles en les investissant dans des secteurs économiques à fort potentiel. Si le Liban assainissait son climat des affaires à coup d'investissements et de dérégulations qui permettraient d'améliorer l'efficacité de l'administration publique, de la distribution de l'électricité, des systèmes de transport, des télécommunications, de l'éducation et de la santé... pour ne citer que ceux-là, alors le Liban pourrait avoir le potentiel de créer les emplois qui auront disparu dans le Golfe. Pour résumer : plus la richesse de Dubai montre des failles, plus le Liban fait bonne figure. Ce n'est pas une raison pour que le Liban se repose sur la détérioration des régions avec lesquelles il est en rivalité – c'est ce qu'il avait eu l'erreur de faire avant la guerre civile. Cette fois, le Liban devrait marquer sa différence en termes absolus, et non comparatifs. Et il en a les moyens.