Voilà un retournement de veste comme on n'en fait plus. Et un tsunami politique auquel le Liban ne s'attendait pas. Dans une interview donnée au quotidien saoudien As-Sharq el-Awsat le 5 septembre dernier, Saad Hariri, premier ministre libanais, s'est excusé d'avoir accusé la Syrie de la responsabilité du meurtre de son père.
Rafik Hariri, le humble journalier sunnite devenu multi-milliardaire en Arabie Saoudite, périt en 2005 dans un attentat spectaculaire, huit mois après avoir quitté ses fonctions de Premier Ministre. 1000 kilos d'explosifs sont utilisés. 22 personnes trouvent la mort. Seul subsiste un cratère au milieu de la route.
Immédiatement, les soupçons portent sur le régime syrien. Ce n'est pas une rumeur d'ambassade, ni des ragots de services secrets, c'est du bon sens. C'est ce que le libanais moyen se dit en écoutant les infos. En 2005, qui était la force occupante au Liban depuis trois décennies ? Qui payait des mukhabarat (espions) pour surveiller nuit et jour les conversations des rues, des cafés, des magasins libanais ? Qui, en conséquence, ne pouvait pas ignorer que 1000 kilos d'explosifs transitaient vers le centre de Beyrouth ce jour là ?
A l'époque, tout le monde était d'accord, les Américains – confortés dans leurs théories axedumaliennes -, les Français, les Saoudiens. Tout le monde. A tel point que face au tollé régional et international soulevé par la mort de Hariri, les troupes syriennes ont été obligées de se retirer du pays du Cèdre. Et le Liban devenait souverain. En théorie, du moins, puisque les attentats politiques ont continué, pendant l'année 2005, à décimer les figures de proue de l'intelligentsia libanaise anti-syrienne.
Sauf qu'entre temps, le vent a tourné. La justice internationale a été saisie, certes. Mais le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), dont le procureur canadien Bellemare a été repêché pour l'occasion alors qu'il était à la retraite, patine depuis des mois. Des fuites sur l'enquête en cours publiées dans Der Spiegel en mai 2009 ont semé le trouble : on y apprenait que des membres du Hezbollah risquaient d'être inculpés dans le meurtre de Hariri. En guise de contre-attaque, Hassan Nasrallah essaye depuis de faire tourner le sregards vers Israel. Le secrétaire général du Hezbollah a martelé tout l'été ses discours télévisés d'accusations sans nuance à l'égard de l'Etat hébreu.
Du côté de Damas, aussi, les choses ont changé. Le régime de Bashar el-Assad a étonnamment bien résisté à l'isolement diplomatique dans lequel il se trouvait depuis 2005. Et voilà que, l'année dernière, Barack Obama envoyait un ambassadeur. C'est la lumière au bout du tunnel. L'assouplissement intérieur du régime a payé. Mauvaise nouvelle pour le Liban, dont la Syrie considère toujours que la création constitue une erreur historique. Un territoire perdu occasionnellement (au profit des français, il y a un siècle ou presque, puis au profit de personne, il y a cinq ans) mais dont la légitimité ne fait, aux yeux de la Syrie, pas de doute.
Saad Hariri le sait bien. Et sinon lui, du moins l'ami saoudien, qui tire les ficelles depuis Riyadh, et s'inquiète - à juste titre – de la montée des tensions entre communautés chiites et sunnites au Liban. Et surtout, surtout, de perdre son pion au pouvoir, l'héritier en chef. D'où l'interview choc du Premier Ministre dans un journal saoudien.
Chez les partisans, c'est le mutisme : on perçoit seulement que les implications de ce volte-face risquent d'être énormes. Et forcément, dans les rangs de l'opposition, on se gausse. Al-Akhbar, le quotidien libanais proche du Hezbollah, se régale : « Il y aura désormais deux genres de confessions à être entrées dans l'Histoire : les confessions de Jean-Jacques Rousseau et celles de Saad Hariri ».