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Billet de blog 16 septembre 2011

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"Je ne veux pas vous énerver à vous parler de religion". Dans les embouteillages vers Alger centre.

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« Tout le monde veut faire du commerce aujourd'hui, mais le problème c'est qu'il n'y a pas la production qui va avec ».

« Tout le monde veut faire du commerce aujourd'hui, mais le problème c'est qu'il n'y a pas la production qui va avec ». L'homme qui parle est un quarantenaire prêt à faire un détour de quarante minutes en voiture pour ne pas laisser deux touristes français sur le bord de la route à Hydra, un quartier chic d'Alger, sur les hauteurs. En chemin pour Alger centre, il montre d'une main : là, une église (« Vous pourrez venir prier dimanche »), là, un magasin qui vend de l'alcool. Evoque le projet de métro algérois, les expropriations de Boumédiène, le paradis, la Kabylie, les années noires.

« Mon père buvait de l'alcool. C'était pas un accro, mais bon, à la maison, il y avait quelques bouteilles. Mais moi, je suis berbère, ma culture, c'est la culture musulmane. Je viens de Kabylie, dans la montagne au dessus de Tizi Ouzou. J'essaie autant que je peux de pratiquer l'islam correctement. Alors l'alcool... Bon, en ce moment, c'est vrai, je ne vais pas prier. Mais c'est parce que j'ai traversé une phase difficile, j'ai perdu un frère ».

Un silence.

« Enfin, la foi montre les bonnes choses. Quand tu fais le bien, tu gagnes des points, quand tu fais le mal, tu en perds. Ca s'équilibre, tu comprends ? »

Sourires d'acquiescement. Ca ressemble aux indulgences protestantes, sa théorie.

« Je ne veux pas vous énerver à vous parler de religion, enchaîne t-il avec douceur, mais au passage, on se cultive, ça fait pas de mal. Le premier meurtre de l'islam, par exemple, c'est deux frères qui se sont tués à cause d'une femme. Kabil et Habil, vous connaissez ? C'est à cause de Satan qui est descendu sur Terre en même temps qu'Adam quand il a été chassé du paradis. Satan a été condamné par Dieu à être sur Terre jusqu'à la fin du monde. C'est pour ça qu'on a des tentations ».

Moment de flottement. Le conducteur amène vient de perdre son audience, qui ignore alors que Kabil et Habil ne sont autres qu'Abel et Caïn.

« Enfin, moi, je ne suis pas spécialiste, si ça vous intéresse, c'est à un type comme Zindani que vous devriez parler ! ». Au moment de la conversation, sans Wikipédia sous la main, l'audience ignore également que Zindani est le leader des Frères Musulmans au Yémen.

Arrivée dans Alger centre, par l'artère principale, rue Didouche Mourad, ex-rue Michelet.

« Ici, en 1988, je me suis retrouvé face à une voiture de police. On voyait tout le monde descendre de voiture et se réfugier dans les rues adjacentes. Un des types de la police a pointé un canon de gaz lacrymogène sur moi. Je conduisais, mon père était à côté de moi. Je me suis dit, ça y est, c'est ici que ça finit pour moi.

« A l'époque, c'était noir, comme ambiance. Noir. » Et maintenant, c'est comment ? « Aujourd'hui... disons qu'on fait avec. Mais les gens ont changé. Traverser ce genre d'événements, ça change les gens individuellement. L'Algérie, c'est pas comme au Maroc où il y a d'un côté les riches et d'un côté les pauvres. Ici, on se mélange plus. On a fait la guerre de révolution ensemble ».

« Avant, ici, c'était la rue Michelet. Maintenant, on dit Didouche Mourad. Mon père connaît encore par coeur tous les noms de rue d'avant. On a changé les noms à l'indépendance. Parce qu'il y a des révolutionnaires, des technocrates qui ont fait des choses pour l'Algérie et qui méritent d'avoir leur nom sur une plaque ».

Arrivés à la Grande Poste, l'homme repart en sens inverse, dans les embouteillages de la fin d'après-midi, espérant simplement, en guise d'au revoir, que l'on trouvera son pays accueillant.

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