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Billet de blog 17 avril 2010

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Beyrouth célèbre la littérature arabe contemporaine

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A peine commencé, le festival Beirut 39, organisé conjointement par Beyrouth capitale mondiale du livre et l'association britannique Hay Festival, finit déjà. Du 15 au 18 avril, 39 auteurs de moins de 39 ans venus de 14 pays du monde arabe et de la diaspora ont investi cafés, bibliothèques et universités de Beyrouth à l'occasion de rencontres littéraires portant sur la nature de la jeune génération d'auteurs arabes.

Malgré les thèmes imposés pour chaque débat, parfois un brin fastidieux ("Quelle est la situation de la littérature arabe contemporaine aujourd'hui ?", "L'importance des traditions orales dans la littérature arabe contemporaine"), la réunion d'auteurs aux origines et aux parcours très variés permettait, elle, de montrer à la lumière de ses subtiles nuances un monde arabe souvent réduit à un seul bloc identitaire. Et, ainsi, d'accroître la représentativité des auteurs sélectionnés, qui sont les premiers étonnés de découvrir leur appartenance à un mouvement littéraire réel, loin de l'acte solitaire de l'écriture.

Dérivés des sentiments contradictoires d'appartenance (ou de non appartenance) à une communauté d'auteurs, religieuse, sociale, au pays d'origine, au pays d'immigration ou à sa propre famille, les anecdotes fusaient, les blagues allaient bon train et la vibrante richesse d'une région souvent boudée pour ses talents littéraires explosait au visage des participants.

Qu'ont en commun Basim Alansar, poète irakien vivant au Danemark et écrivant en arabe, Randa Jarrar, née à Chicago, élevée au Koweit et écrivant en anglais, et Abdelkader Benali, marocain installé aux Pays-Bas et écrivant en néerlandais ? Quels éléments les rassemblent au sein d'une même génération, d'un même mouvement littéraire ?

Il y a l'idée, d'abord, que le territoire n'est pas nécessairement une notion géographique. Randa Jarrar la première déclare avec fougue : "Je ne suis de nulle part, je n'appartiens à aucun lieu". Avant de développer : "L'idée selon laquelle il faudrait appartenir à un lieu m'exaspère. Car dans l'idée d'appartenance, il y a toujours une notion d'allégeance qui fait qu'on a des comptes à rendre, à un moment ou à un autre." Puis elle lâche, sur un ton plus amer, bien qu'humoristique : "Je n'ai pas de très bonnes relations avec ma famille, donc pour moi, la maison, c'est partout où ils ne sont pas".

En commun, également, le processus d'extraction de familles où la littérature n'est pas reine pour, envers et contre tous, devenir écrivain. Abdelkader Benali témoigne : "Aujourd'hui, je pense qu'une maison sans livres n'est pas une vraie maison. Mais quand j'étais petit, chez nous, il n'y avait que deux ouvrages : le Coran et l'annuaire téléphonique". L'écriture devient alors l'ultime moyen d'explorer les non-dits et les silences de familles où, pourtant, on parle fort, et beaucoup. Benali poursuit : "Grandir dans une maison où tout le monde parlait tout le temps m'a fait prendre conscience que derrière ce flot de paroles, il devait y avoir quelque connaissance cachée, quelque chose qui n'était pas dit : la vérité de leurs désirs enfouis, de ce qui les avait fait souffrir... Je me suis alors dit que je pouvais peut-être chercher la nature de cette vérité cachée grâce à l'écriture car, en l'organisant, je pourrais réussir à trouver une place dans leurs silences".

Parfois, les discussions débouchaient sur des questions plus problématiques. La question de la langue, d'abord. Est-on un écrivain arabe si l'on n'écrit pas en arabe ? Randa Jarrar n'y voit pas de contradiction : elle écrit en anglais mais elle se considère comme une écrivaine arabe à part entière. Même témoignage pour Abdelkader Benali, qui écrit en néerlandais, et la libanaise Hyam Yared, qui écrit en français, et pour qui "la langue est un berceau". Randa Jarrar joue avec la langue en intégrant dans ses textes des mots arabes qu'elle trouve beaux et dont elle dit que si le lecteur ne les comprend pas - car le lecteur n'a pas le devoir de tout comprendre -, il pourra au moins les aimer pour leur sonorité, leur poésie.

Autre débat : peut-on être un écrivain arabe et ne pas être engagé politiquement ? Zaki Baydoun, auteur libanais, revendique son "droit à l'anonymat" soit, plus précisément, son "droit à l'absence de cause" et refuse radicalement d'être le porte-drapeaux de causes qu'il ne considère pas comme siennes. Cette véhémence, il la justifie par les questions redondantes et les remarques clichées qui lui sont régulièrement adressées depuis que Baydoun vit à Paris (cela fait maintenant 4 ans). Hyam Yared adopte la même méfiance à l'égard de questions trop rapidement, ou grossièrement, formulées, dès que sa nationalité libanaise est évoquée : de quelle religion êtes-vous ? que pensez vous du conflit israélo-palestinien ? reviennent, selon ces deux auteurs, comme des refrains lourds.

Pour Abdellah Taia (auteur marocain vivant à Paris), en revanche, être un écrivain arabe, a fortiori publié dans le monde arabe, engage une certaine responsabilité - politique, soit, mais au sens large du terme. Vis-à-vis des lecteurs du pays d'origine, qui se reconnaîtront dans la société décrite, mais aussi vis-à-vis des occidentaux, dans le cas d'écrivains de la diaspora. Cette responsabilité est, selon Taia, l'occasion d'apporter quelques nuances au tableau stéréotypé du Moyen-Orient, du Maghreb ou de tout autre pays du monde arabe que brosse une majorité d'interlocuteurs occidentaux...

Ces débats, malheureusement, ne duraient que trois jours. Les auteurs, eux, seront pendant deux ans invités à participer à diverses résidences d'artistes dans la région. Espérons que l'élan enthousiaste ainsi suscité saura insuffler aux jeunes auteurs la conscience durable d'appartenir à un mouvement littéraire en essor.

J'en profite pour signaler quelques uns des ouvrages des 39 sélectionnés :

Berytus, une ville sous terre de Rabih Jaber (excellent auteur libanais qui malheureusement boude tout média et apparition publique)

Une mélancolie arabe, d'Abdellah Taia

Sous la tonnelle, de Hyam Yared

Pour plus de détails sur les 39 auteurs, leurs parcours et leurs oeuvres, leurs interviews sont disponibles sur le blog de Beirut 39, ici :

http://beirut39.blogspot.com/

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