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Billet de blog 19 mars 2011

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La quête de dignité collective. Rashid Khalidi sur les révolutions arabes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rachid Khalidi, historien d'origine palestinienne et directeur du département Moyen-Orient à l'université Columbia (New York) donnait mercredi dernier une conférence à l'Université Américaine de Beyrouth sur les révolutions arabes. En voici quelques extraits.

 

« Ces soulèvements révolutionnaires sont sans précédent.

 

Ce ne sont pas les premiers soulèvements de la région, bien évidemment. En Egypte seulement, il y a eu de nombreuses révoltes aux XIXe et XXe siècles. Mais aussi en Syrie, en Irak, en Palestine. Seulement, à chaque fois, ces révoltes avaient pour cause la violence coloniale aveugle. En Libye, en 1911, c'est la première fois de l'histoire que des bombardements aériens sont utilisés contre des civils. En Irak, en 1920, c'est la première fois que du gaz toxique est utilisé contre des civils. Tous ces soulèvements entre 1800 et 1950 étaient des révolutions pour la libération nationale et contre l'occupation coloniale. Elles ont produit une chaîne de régimes militaires (Libye, Yémen, Irak, etc.).

 

Il y a eu des révolutions pacifiques dans le monde arabe avant 2011, il y a eu des révoltes pour la démocratie et la réforme constitutionnelle avant 2011. Ce n'est pas ça qui fait que ces soulèvements sont sans précédent. Tous les pays arabes ont été profondément influencés par l'expérience ottomane et la nature constitutionnelle de celle-ci. L'échec de tous les régimes constitutionnels du monde arabe n'est pas seulement du à des facteurs internes. Il a aussi été encouragé par les puissances occidentales qui d'une façon générale préféraient avoir affaire à des autocrates malléables qu'à des parlements.

 

Non, ce qui fait que les révolutions de 2011 sont sans précédent, c'est qu'elles mettent fin à la phase des révoltes pour la libération.

 

Le droit à la dignité (karama)

 

La demande principale durant les soulèvements en Tunisie et en Egypte était le droit à la dignité. Il s'agit à la fois de la dignité individuelle et de la dignité collective.

 

La demande pour la dignité individuelle est la plus naturelle des demandes. Les dirigeants de ces pays ont fait preuve du plus grand mépris à l'égard de leurs citoyens. Tensions confessionnelles, harcèlement des femmes, usage de drogues... Tout servait de prétexte aux dirigeants pour tenir des discours paternalistes sur des peuples soit disant immatures et pas encore prêts pour l'expérience démocratique. « Je sais ce qui est bon pour vous ». C'est le ton extrêmement suffisant de Moubarak dans son dernier discours.

 

La demande pour la dignité collective est elle aussi naturelle. Le monde arabe est la seule région à n'avoir pas été affectée par les transitions démocratiques de la fin du XXème siècle. Et soudain, après des décennies sans changement, les Arabes ont prouvé qu'ils n'étaient pas différents des autres. C'est le slogan qu'on entendait au Caire « Lève la tête, tu es égyptien ».

 

L'appel à la dignité collective, c'est aussi l'appel à la fin d'un système malsain où les Etats policiers arabes étaient fournis en armes par les Etats-Unis, l'Europe, l'Arabie Saoudite, et où les hommes des services de sécurité étaient en excellents termes avec les services secrets occidentaux qui souvent les formaient (torture).

 

Est-ce que cet esprit de révolte va continuer ? Comment dépasser les problèmes structurels inhérents à une révolution, un changement de régime ?Comment mettre en place une nouvelle Tunisie, une nouvelle Egypte ?

 

Dans ces deux pays, ils ont beaucoup d'atouts pour aller jusqu'au bout de la révolution. En Egypte, ils viennent de prononcer la dissolution d'Amn el Doula. Ils ont déjà annoncé qu'ils créeraient une nouvelle institution mais on peut espérer qu'elle sera très différente de ce qu'Amn el Doula a été pour l'Egypte.

 

Quel est le potentiel de contagion aux autres pays arabes ?

 

Bien que ce soient pour la plupart des Etats policiers, ils ne sont pas tous identiques. De plus, les forces de réaction à ces mouvements révolutionnaires vont tenter de peser de tout leur poids sur les tentatives de révoltes. C'est ce qui s'est passé pendant la Révolution Française : toutes les monarchies européennes étaient contre. Même chose pendant la révolution bolchévique. Ces forces de contre-révolution sont capables de mettre un coup d'arrêt aux nouvelles tentatives : c'est le cas en Libye, au Bahrein.

 

Cela n'empêche pas l'effet de contagion d'un pays à l'autre : les slogans ont été repris à l'identique – ou presque. La télé satellite arabe a facilité le processus de transmission. On assiste à un ré-établissement spectaculaire de la sphère publique arabe. On a beaucoup parlé du rôle de Twitter et de Facebook. Mais il y a eu des révolutions avant les réseaux sociaux.

 

Ce qui est vraiment nouveau c'est l'absence de hiérarchie. En Egypte, il y a la coalition des jeunes, ils viennent de 9 associations différentes, il y a beaucoup de filles et aucun leader. J'ai entendu l'une d'entre eux dire à une journaliste télé qui insistait pour connaître le nom de leur leader : « On a eu des zaims avant. Nous n'avons plus besoin de zaims aujourd'hui ». C'est pourquoi la police secrète a échoué. Ils cherchaient quelqu'un qui n'existait pas.

 

C'est la première fois que c'est une bonne chose d'être un arabe aux Etats-Unis mais c'est impossible de dire si ça va durer. Tout ce qu'on peut dire aujourd'hui, c'est que la politique du business as usual va être beaucoup plus compliquée à Washington et en Israel à partir de maintenant. La chute de Moubarak a créé une vague de panique pure dans les cercles dirigeants en Israel. Obama, quant à lui, n'a jamais prétendu être un révolutionnaire, un radical. Il a suivi une ligne extrêmement traditionnelle en matière de politique étrangère, il ne peut pas se permettre de se lancer dans des guerres futiles tout simplement parce que ce serait très impopulaire. S'il a opéré une rupture par rapport à la ligne de Bush, c'est seulement pour des raisons rationnelles : les américains voulaient le retrait des troupes américaines d'Irak.

 

 

 

 

 

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