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Billet de blog 19 septembre 2011

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Mais pourquoi les Algériens ne se révoltent-ils pas?

La rumeur enflait depuis une semaine déjà : le 17 septembre, une marche pour une révolution pacifique aurait lieu à Alger. Le débat avait commencé sur Facebook bien avant que qui que ce soit ne descende dans la rue, partisans du rassemblement contre partisans de l'ordre établi engagés dans une surenchère de commentaires.

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La rumeur enflait depuis une semaine déjà : le 17 septembre, une marche pour une révolution pacifique aurait lieu à Alger. Le débat avait commencé sur Facebook bien avant que qui que ce soit ne descende dans la rue, partisans du rassemblement contre partisans de l'ordre établi engagés dans une surenchère de commentaires. « La révolution algérienne du 17 septembre 2011 », un groupe Facebook suivi par 3200 personnes, encourageait à engager une révolution « du peuple pour le peuple » pendant que la mouvance adverse, « Tous contre la marche du 17 septembre en Algérie », prônait la paix en guise de mot d'ordre: « Nous avons un beau pays qui n'a pas besoin d'être changé et encore moins de cette façon alors battons nous pour la paix ».

La veille au soir, Fatma, 36 ans, « tchitchi » auto-proclamée (comprendre : faisant partie de la jeunesse dorée), m'emmène faire un tour de la place du 1er mai en voiture. « S'il y a des policiers, c'est qu'il va se passer des choses demain », me prévient-elle. C'est sur cette place que les manifestations de janvier ont eu lieu, samedi après samedi, pendant des semaines. Ce soir là, à 21h, des fourgonnettes sont en place sur le côté, discrètes, et des piles de barrières sur lesquelles on peut lire les mots « Police/Chorta » attendent d'être organisées.

Le 17 septembre au matin, dans Alger centre, l'ambiance n'est pas différente de d'habitude. On n'entend pas de clameur particulière au loin. Les routes ne sont pas bloquées. Seule bizarrerie : un homme, dans un café, s'approche et me prévient de ne pas trop fouiner dans Alger. Il m'aurait vu deux jours plus tôt, « traîner à côté du palais du gouverneur ». En route vers la place du 1er mai, je suis suivie par un mauvais fileur, qui arrêtera de me surveiller seulement quand je monterai dans un taxi en direction du centre.

Dans la longue avenue qui va de la place de la Grande Poste à la place du 1er mai, rien d'inhabituel : les « hittistes » (ceux qui tiennent le mur) discutent en petits groupes, sur les trottoirs, les gens sont de sortie pour faire leurs courses. Sur la place, la police est déployée, les barrières aussi, les fourgonnettes aux quatre coins cette fois. Les voitures circulent normalement, et, surprise, il n'y a pas un seul manifestant. Les passants traversent la place d'un pas rapide ; les seuls que je vois assis sur des bancs ont l'air de vivre dehors.

Restent les journaux. Dans lesquels, dès le lendemain, on s'interroge sur « le capital révolutionnaire de l'Algérie ». Kamel Guerroua, dans une chronique publiée dans al-Watan, écrit : « Retard sur tous les plans (...), marches vers le progrès à pas entrecoupés, (...), masses clochardisées des suites des politiques néolibérales, élites presque aliénées et jeunesse en perte de repères, s'y ajoute ce phénomène inquiétant du kidnapping qui vise les patrons, chefs d'entreprise et leur famille : tous les ingrédients nécessaires pour le déclenchement d'une révolution populaire d'envergure sont bien présents. Mais pourquoi les Algériens ne se révoltent-ils pas ? L'Algérie est-elle différente des autres pays arabes ? ».

Fatma a un début de réponse. « Je ne vais pas dire du mal de Bouteflika. Depuis qu'il est arrivé, on a des autoroutes, il n'y a plus de faux barrages, on se sent plus en sécurité. Il y a aussi beaucoup d'entreprises étrangères qui sont venues s'installer. Alors, oui, il y a beaucoup de chômage chez les jeunes, mais est-ce que c'est de la faute de Bouteflika ou est-ce que c'est de la faute des jeunes qui ne sont pas assez flexibles, qui refusent de faire des petits boulots ? ». La trentenaire hyperactive développe : «J'aime beaucoup mon pays, mais je te jure, s'il se passe quelque chose, je m'en vais tout de suite».

Pour cette raison, Fatma n'est pas allée manifester samedi matin. Comme beaucoup d'autres jeunes de sa génération, Fatma a envie de vivre dans un pays calme, pour lequel la corruption et les galères quotidiennes sont le prix à payer.

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