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Billet de blog 20 janvier 2011

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Le Liban favorable à l'apartheid immobilier

10 ans de prison. Ce sera désormais le prix à payer au Liban pour tout chrétien ou musulman qui aurait l'intention de vendre une propriété à une personne de la confession « opposée ».

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10 ans de prison. Ce sera désormais le prix à payer au Liban pour tout chrétien ou musulman qui aurait l'intention de vendre une propriété à une personne de la confession « opposée ». Malgré quelques articles scandalisés dans la presse, le projet de loi en cours va très probablement réussir à convaincre une majorité de députés libanais - cette mesure étant perçue comme favorable à l'équilibre du pays. Paradoxalement, en effet, la raison officielle avancée par les nombreux défenseurs du projet de loi est la protection du caractère multiculturel au Liban. « S'il est illégal pour les musulmans d'acheter un bien immobilier dans des secteurs chrétiens, la 'nature' et le 'caractère' de ces secteurs seront protégés, ce qui engendrera une diminution de l'émigration chrétienne » écrivait le 8 janvier Maya Mikdashi sur Jadaliyya.com.

Le timing de ce projet de loi va dans le sens de cette analyse, puisque l'idée a été lancée au début du mois par le Ministre du Travail, Boutros Harb, d'habitude plutôt modéré, après que plusieurs reportages dans les journaux ont fait état de l'achat par des chiites de vastes terrains dans des zones chrétiennes. D'autres journaux s'insurgent : Al Quds al Arabi y voit la transformation prochaine du Liban en ghettos isolés, Al Akhbar dénonce le commencement d'un nouvel apartheid où « bientôt, des murs de séparation pourraient bien être construits entre les différentes sectes » et Jadaliyya.com condamne la normalisation des pratiques sectaires. Pourtant, cette loi ne fait qu'entériner une pratique libanaise à la fois courante et ancienne. Ici, un propriétaire chrétien identifiant comme sunnites les parents d'une jeune mariée en couple avec un chrétien maronite haussera le prix de l'appartement sans raison apparente. Là, de futurs acheteurs s'enquerront que l'immeuble est « propre », comprendre sans musulman.

Dans un monde idéal, la loi devrait servir à laver la société de ses archaïsmes. Mais le Liban de 2011 est loin d'être idéal : ces crispations immobilières ne sont que le reflet d'un système politique plus vaste, entièrement fondé sur le partage entre confessions des plus hautes fonctions étatiques. Un équilibre fragile, hérité des accords de Taef (1989), dont le triangle magique Président de la République maronite, Premier Ministre sunnite, Président du Parlement chiite a jusqu'ici, cahin-caha, évité au Liban de replonger dans la guerre civile. Sur fond de crise politique et de tensions grandissantes entre chiites et sunnites, le projet de loi Harb a une résonance particulière. Car pourquoi ne pas l'étendre aux 18 confessions du Liban, au lieu de s'en tenir au seul antagonisme chrétiens-musulmans ?

« Est-il possible que le sectarisme politique soit pire demain qu'aujourd'hui ? » s'interrogeait un journaliste dans Al Akhbar, le 3 janvier « Qui sait ? Peut-être que bientôt on trouvera des panneaux disant : 'prière de laisser les membres de confession différente et les chiens à la porte' ».

Levantine s'est absentée pendant deux mois pour travailler à l'élaboration et au lancement d'une plateforme d'informations trilingue, Mashallahnews, consacrée à l'actualité culturelle, sociale et artistique des grandes villes de la région Maghreb-Machrek. Fruit du travail de jeunes correspondants basés dans les villes de Casablanca, Le Caire, Istanbul, Beyrouth, Damas, Téhéran et Jeddah, Mashallahnews publie un nouvel article chaque lundi, mercredi et vendredi de la semaine.

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