Le Liban n'a jamais été aussi calme que depuis que la flambée révolutionnaire fait tanguer ou chuter les régimes autoritaires voisins. Pourtant, le pays souffre lui aussi de problèmes endémiques qui pourraient légitimement faire descendre les libanais dans la rue. Un Premier Ministre sans gouvernement, des institutions étatiques sans budget (écoles publiques, sécurité sociale), des prix à la hausse (alimentation, essence), une corruption rampante. Les chauffeurs de taxi râlent, mais la grogne ne va pas plus loin.
Même le 14 février dernier, date de la mort de Rafic Hariri, jour où chaque année depuis 2005, de grands rassemblements ont lieu place des Martyrs, la capitale libanaise est restée silencieuse, et la place, vide. Les partisans du clan Hariri ont préféré se rassembler dans une salle habituellement dédiée aux concerts, par égard aux turbulences régionales. «Politiquement parlant, les manifestations égyptiennes sont primordiales» a déclaré le porte parole du mouvement du Futur, qui fait partie de la coalition du 14 mars.
Si le Liban semble vacciné d'avance contre la fièvre révolutionnaire, c'est d'abord parce que contrairement à nombre de ses voisins, le pays du Cèdre n'a jamais été – et n'est toujours pas, n'en déplaise aux analyses affolées qui voient dans le récent changement de majorité gouvernementale en faveur du Hezbollah un coup d'Etat – un régime autoritaire. Il n'y a donc pas une entité répressive globale contre laquelle s'insurger. Les structures étatiques reflètent cette réalité. «L'Etat libanais ne dispose pas d'un pouvoir hégémonique ; ses capacités coercitives sont limitées, ainsi que son recours à la violence» analyse Maya Mikdashi, sur Jadaliyya.com.
S'ajoute à ces éléments la position géopolitique du Liban : avec une petite économie, une population réduite, peu ou pas de ressources naturelles, le Liban cristallise les enjeux régionaux sans être pour autant capable d'influer sur eux. Ni la Maison Blanche ni l'UE ni la Ligue Arabe n'attendent avec anxiété les déclarations du Premier Ministre libanais ou de son président sur les récents événements égyptiens, tunisiens (et maintenant lybiens et bahreinis).
Ce n'est pas la rue libanaise qui risque d'échauffer le pays dans les prochaines semaines, mais le dénouement possible de noeuds politiques durables. On peut penser que l'ONU ne prendra pas le risque de créer un nouvel épicentre de crise dans une région déjà très agitée en retardant au maximum la publication des résultats de l'enquête du Tribunal Spécial pour le Liban. Mais une fois que ces résultats seront officialisés – et pour assurer la crédibilité du tribunal onusien, ils devront l'être -, la stabilité du pays ne sera plus garantie.