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Billet de blog 24 novembre 2009

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Coppola, Bashar et moi

Ca aurait pu être être sur fond de chant des Walkyries que le réalisateur Francis Ford Coppola est arrivé en octobre dernier dans son jet privé au dessus de l'aéroport de Beyrouth pour la projection de son dernier opus, Tetro.

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Ca aurait pu être être sur fond de chant des Walkyries que le réalisateur Francis Ford Coppola est arrivé en octobre dernier dans son jet privé au dessus de l'aéroport de Beyrouth pour la projection de son dernier opus, Tetro. Oui, mais : problème, le jet contenait des pièces israéliennes, qui n'ont pas échappé au regard attentif des forces de sécurité de l'aéroport, réputées pour être proches du Hezbollah. Voilà donc Coppola bloqué dans les airs. Son réflexe est d'appeler Bashar Al-Assad (l'histoire ne dit pas dans quelles circonstances les deux hommes se sont échangés leurs numéros) qui aussitôt donne l'autorisation d'atterrir à Damas, au grand dam de tous les observateurs de la région (même les pro-syriens).

L'anecdote a l'air banale, mais le fait qu'elle ait été tue pendant un mois et demi par les médias arabes (et seulement très récemment ressuscitée par le quotidien palestinien basé à Londres Al-Quds Al-Arabi) donne déjà une indication sur le poids de son incohérence et de la discorde semée. « Impossible à comprendre » revient dans la bouche de ceux qui osent se lancer dans l'analyse. Au vu de l'état actuel du boycott opéré par les pays arabes sur Israel, « si n'importe quel dirigeant arabe avait pris une décision aussi symbolique que celle prise par Bashar à l'égard du jet de Coppola, cela aurait paru bizarre (et même plus) » déclare l'analyste politique libanais Saad Meyho, connu d'habitude pour ses positions PRO-syriennes. Alors, que penser de ce geste syrien ? Car non seulement la Syrie n'entretient pas de relation diplomatique avec Israel mais, au moment même de l'épisode Coppola, la tête de l'état syrien assénait dans une conférence réunissant des pays arabes l'importance de la « résistance arabe » (donc du boycott à Israel), portant l'expression au rang de slogan politique.

Peut-être faut-il y voir un simple coup de com' et non pas un geste politique (l'histoire a fait les choux gras des journaux anglo-saxons). Peut-être faudrait-il l'inclure dans la vaste campagne de Bashar Al-Assad visant à se rendre sympathique aux yeux du monde et à sortir du ghetto diplomatique réservé aux « états voyous » (rappelons qu'Obama n'a pas tenu sa promesse de nommer un nouvel ambassadeur en Syrie et que les sanctions imposées par Bush en 2004 sont demeurées intactes). Peut-être qu'il n'y a simplement pas de cohérence entre ce geste et tous les autres. Entre le jet de Coppola à moitié israélien qui atterrit à Damas et les tentatives de rapprochement avec des « états frères » alliés des Etats-Unis comme la Jordanie et l'Arabie Saoudite. Entre l'arrêt de la médiation turque entre Israel et la Syrie suite aux raids israéliens sur Gaza en décembre 2008 et janvier 2009 et les efforts faits ces derniers mois par al-Assad pour rassurer les américains (déblocage de la situation en juin pendant les élections au Liban, renforcement du contrôle de ses frontières avec l'Irak pour stopper les transferts de djihadistes).

Peut-être qu'il s'agit seulement d'une nouvelle démonstration de l'inconstance de Bashar al-Assad dans ses choix politiques, une inconstance qui a le mérite d'asseoir son autorité sur ses voisins, jamais au bout de leurs surprises, et toujours sur la défensive.

En tout cas, vue depuis « la base », cette anecdote me fait beaucoup rire. S'il s'agit bien d'une tentative maladroite et détournée de faire plaisir au gouvernement américain, pourquoi, alors, faut-il systématiquement cinq heures d'attente aux douanes pour qu'un ressortissant américain obtienne le droit de pénétrer sur le territoire syrien ? Car tous ceux qui voyagent en minibus, pourtant non pourvus de pièces israéliennes, n'ont pas la chance de Coppola.

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