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Billet de blog 26 mai 2013

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Menace continue et imminente

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1- Les quasi-certitudes de Barack Obama 

Ca doit être un problème de vocabulaire.

Vous me direz, un problème de vocabulaire n'a rien, a priori, d'irréversible. Sauf que le vocabulaire, c'est un choix de mots, un choix de mots, le langage, et le langage, c'est grave. 

Plus tard, j'ai lu des analyses indiquant ce qu'il fallait comprendre ce soir là : il s'agissait d'un discours annonçant la fin de la guerre contre la Terreur. Mais l'effet, à l'écoute, est inverse. Quand Barack Obama dit quinze fois en une heure – ou peut-être trente-cinq – les mots war on terror, on arrête ses activités et on s'assied devant CNN. L'instinct nous dicte que ce dont il est question pourrait nous concerner, et même avoir un impact direct sur nos vies. Ce n'est pas une idée irrationnelle qui germe là. Quand Obama parle pendant une heure avec des drapeaux dans le dos, sur fond bleu marine, l'émotion qui naît du côté de notre diaphragme prend racine dans douze ans d'idéologie féroce, douze ans de grands mouvements de bras et de bataillons de l'autre côté de l'Atlantique et de la Méditerranée par rapport à Washington (c'est à dire de mon côté de l'Atlantique et de la Méditerranée).

 Je me dis, mais oui, un discours télévisé, c'est la moindre des choses après qu'ils aient abattu l'un des suspects de l'attentat de Boston à son domicile, dans le cadre d'une fusillade venue interrompre l'interrogatoire du FBI. En réalité, ce n'est pas du tout des Tsarnaev brothers qu'il est question ce jeudi soir sur CNN, pas directement en tout cas. Barack Obama dresse un bilan. Avec le retrait des troupes américaines d'Afghanistan annoncé pour 2014, il aimerait qu'on hoche la tête collectivement du haut vers le bas et qu'on applaudisse le changement de paradigme. S'il y a des Talibans furieux qui font exploser des bombes à Kaboul cette semaine même pour réclamer un retrait complet des troupes, ce n'est le problème de personne, et en tout cas, ce n'est pas non plus le sujet du discours.

Moi, je ne demande qu'à hocher la tête, je suis pleine de bonne volonté et d'énergie en tant que citoyenne mondiale, mais de changement de paradigme, je n'en vois pas la couleur. On est en 2013 et Barack Obama est encore capable de dire des choses comme « ce n'est pas facile d'être la nation la plus puissante du monde » (je cite de mémoire) ou encore « quand nous tirons avec nos drones, nous avons la quasi-certitude de ne pas tuer » (les victimes, pourtant, sont rarement quasi-vivantes, et même toujours franchement mortes, demandez à leurs familles) ou bien même « si vous complotez contre votre pays et que votre pays est les Etats-Unis, alors moi, Barack Obama, je ne peux vraiment rien faire pour vous » (je cite toujours de mémoire). 

Le pompon, c'est quand Barack Obama aborde le sujet de Guantanamo. Très vite, il ne dit déjà plus Guantanamo (quatre syllabes, c'est deux syllabes de trop) et utilise ce raccourci familier, qui évoque plus la marque de bonbon ou le prénom du hamster de votre nièce que la prison la plus infamante du monde occidental : Gitmo. De fait, ça fait moins peur, et l'idée de ce discours, car oui, il y en a une, c'est de ne pas faire peur. C'est de rappeler où sont les gentils et comment ils s'appellent. Guantanamo, ça respire l'illégalité, le métal, le cactus. Barack Obama ne rappelle pas une statistique importante : 106 des prisonniers de Guantanamo sur 160 sont actuellement engagés dans une grève de la faim. Ca aussi, ça sent l'illégalité, le métal et le cactus.

C'est ce qu'a l'air de penser la femme du public qui ose interrompre Barack Obama. Jusqu'ici le président affichait la tête d'un homme qui a déjà tellement renoncé, que tout ce qui lui reste, c'est d'avoir l'air présentable. La joue lisse, la chemise droite. Et puis il y a cette interruption – salutaire, du point de vue de la démocratie, on se dit, combien de temps la sécurité va mettre pour sortir la femme de la salle, deux, trois minutes ? - on sent que ça ne le fait pas rire, qu'il est personnellement agacé, le faisceau de justifications plus ou moins bancales auxquelles il doit avoir recours chaque jour pour continuer à faire ce qu'il fait et à incarner ce qu'il incarne fond devant l'intervention de cette gauchiste allumée. Une flamme de colère brute éclaire son regard, et tout est noir dans ses yeux, noir comme les récifs qui entourent les grillages de Guantanamo, les dents sont grandes, brillantes, impeccables, mais si vous mettez votre main devant la bouche de Barack Obama et que vous vous concentrez sur ses yeux, vous verrez ce qu'il pense, et ce qu'il pense fait peur.

« Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse, bon sang ? ».

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