Nous venons de sortir du procès Le Scouarnec, médecin et violeur pédocriminel en série. Cette affaire pose, entre autres, la question de la détection des violences sexuelles chez les enfants. Lors de deux émissions A l'air libre sur Mediapart et C ce soir sur France 2, le rôle des médecins et leur responsabilité dans cette détection est abordée. Ce qui m’intéresse ici, c’est comment ces histoires montrent la vivacité du mythe de l’hymen dans notre société (je désigne comme mythe de l’hymen, les croyances qui relient l’état lésé ou intact de l’hymen au fait d’avoir été pénétrée vaginalement par un pénis) et montrent aussi le rôle de choix qu’on accorde aux médecins dans ce mythe.
Quelques mots sur ma personne : j’ai initié, il y a quelques années, le projet collectif Hymen redéfinitions qui avait pour objectif de changer les définitions du mot “hymen” dans le dictionnaire. Celles-ci faisaient le lien entre l’hymen et la virginité, ce qui n’est pas scientifiquement prouvé. Le collectif a fait changer la définition du mot “hymen” en 2020 dans plusieurs dictionnaires (Le Robert, Larousse, Le dictionnaire de l’Académie de Médecine, la page sur l’hymen sur le site Doctissimo). Nouvelles définitions qui ont coupé (totalement ou en partie) le lien entre hymen et virginité. Depuis, je continue une pratique de recherche sur les mythes de l’hymen et de la virginité.
Je vais maintenant aborder en détail les deux interventions :
A l’air libre, Violences sexuelles sur les enfants : ne plus regarder ailleurs Mediapart. 22/05/2025. extrait à 1h13
Marianne, plaignante au procès de Joël Le Scouarnec explique :
“J’ai entendu une victime qui s’est fait violer par Le Scouarnec, elle avait dix ans, elle avait des problèmes médicaux, deux ans plus tard, elle a été voir le médecin traitant avec son père, le médecin traitant lui a dit, au père“Votre fille a eu des rapports sexuels”. Elle avait douze ans. Aucun signalement n’est passé. Personne ne s’est posé de questions.”
Dans ce court passage, il est indiqué qu’un médecin généraliste a annoncé au père d'une enfant qu'elle avait été violée (avoir des rapports sexuels est un euphémisme pour une enfant de 12 ans), sûrement après l'avoir auscultée. La particularité de l’affaire Le Scouarnec, c’est qu’une grande partie des victimes ne savaient même pas qu’elles avaient été violées donc la victime n’avait pas pu en parler au médecin avant. L'enjeu de l'histoire racontée ici par Marianne c'est la dénonciation du silence de tous les adultes après la révélation du viol par le médecin.
Mais l'autre problème, selon moi, c'est que la littérature scientifique a montré qu'il est quasiment impossible d'affirmer scientifiquement cette phrase "votre fille a eu des rapports sexuels" après l'examen gynécologique d'une enfant si longtemps après les faits. Cette annonce étonne d'autant plus par un médecin généraliste, qui n'a pas les compétences d'un médecin légiste. Ce qui est encore plus grave, c’est bien sûr la suite, pourquoi le dire au père ? Il y a quand même un bon risque que ce soit lui, le violeur. Pourquoi ne pas avoir engagé la conversation avec l'enfant avant ? Pourquoi ne pas faire de signalement s’il avait une preuve ? L’histoire est un souvenir d’enfance, ce qui implique sûrement certaines approximations, mais je ne doute pas que l’enfant ait bien entendu cette phrase marquante “votre fille a eu des rapports sexuels”. Et je sais que de nombreux médecins de par le monde pensent avoir le pouvoir de distinguer le vagin d'une vierge de celui d'une non-vierge. Et que parfois, le hasard et la violence sexuelle systémique font qu'ils tombent juste.
C à vous. Procès Le Scouarnec : un rendez-vous manqué ? du 29 mai 2025 . Extrait à 1h05
Ici, c'est Hugo Lemonier, journaliste qui a suivi l'affaire Lescouarnec qui dit :
“Quand la victime à laquelle je pense, Oriane me raconte son parcours, elle, elle a 10 ans, elle est victime de viol par Joël Le Scouarnec, elle présente des lésions physiques, gynécologiques, elle va chez le gynéco avec sa mère, le gynéco lui dit “Mais ça c’est rien du tout, tu fais du sport, bah, c’est le sport voilà. Une lésion hyménéale, ça n’arrive pas en faisant de la course à pied. C’est des mythes. Quand je lui pose la question “Qu’est-ce que vous auriez aimé qu’il vous dise le médecin ? “J’aurais aimé qu’on me pose la question : "Est-ce qu’on t’a fait du mal ?”
Ici, on retrouve le même moment d’examen gynécologique et le problème selon le journaliste, c’est que le gynécologue ne fait pas le lien entre une lésion hyménéale et un viol. Hugo Lemonier explique que cette lésion hyménéale était une preuve du viol et que le gynécologue a fait un acte de déni en rapprochant la lésion d’une pratique sportive. Les recherches scientifiques donnent tort au journaliste : une lésion hyménéale n’est pas une preuve de viol en soi (et par ailleurs il n’y a aucune preuve non plus que la pratique sportive endommage l’hymen). Seule la déchirure complète de l'hymen en est une. Mais, les violences sexuelles étant systémiques, toute consultation gynécologique devrait bien comporter un questionnement sur celles-ci. Alors oui, lésion hyménéale ou pas, le médecin aurait bien dû demander à l’enfant “Est-ce qu’on t’a fait du mal ?”.
A la fin du 20eme siècle entre 1980 et 2000, suite à une meilleure prise en compte des agressions sur les enfants, il y a eu un grand nombre de recherches afin trouver des preuves de viol sur le sexe des enfants (voir l’étude systématique Virginity testing: a systematic review de Rose McKeon Olson et Claudia García-Moreno publiée en 2017 qui récapitulent ces études). Ces recherches concernent principalement l’hymen et dans une moindre mesure la vulve. Des milliers d’hymen et de vulves d’enfants agressées et non agressées ont été examinés, photographiés. Au terme de ces vingt années de recherche (voir l’étude de 2002 de l’équipe de la gynécologue étasunienne, Abbey Berenson A case-control study of anatomic changes resulting from sexual abuse) la conclusion de ces études est que la dichotomie hymen intact/ hymen lésé n’a pas de fondement scientifique (il existe des hymens lésés chez des enfants non agressées et des hymens intacts chez des enfants agressées), que les traces durables des viols sur l’hymen sont très rares (environ 3% des enfants agressées sexuellement examinées). Abbey Berenson conclut ainsi son étude : "L'examen génital de l'enfant victime d’agression sexuelle diffère rarement de celui de l'enfant non-victime. Les experts juridiques doivent donc prendre en compte en priorité le récit et les antécédents de l'enfant comme preuves principales de l'abus.". Ils le répètent donc encore une fois, il faut écouter les enfants.
Le mythe de l’hymen agit très fortement dans cette affaire Le Scouarnec. Comme les victimes n’ont, pour la plupart, pas de souvenirs de leur agression, il y a cette espérance que les médecins auraient pu voir l’agression sur leur corps. Que le viol invisible ait, au moins, laissé des traces visibles. Mais il faut faire notre deuil, le sexe ne conserve pas (dans la quasi-totalité des cas) la trace des agressions, même chez les enfants. La réponse est ailleurs : dans l'écoute, le questionnement des enfants et la prise en compte des conséquences bien connues des traumas sexuels (troubles psychiatriques, sexuels, alimentaires, conduites addictives…) qui laissent, eux, des traces prouvées scientifiquement.
Les médecins ne sont pas des voyants, ils ne peuvent pas lire les expériences sexuelles passées (consensuelles ou non) en regardant des vagins. Les tests de virginité (les examens de l'hymen) ont été interdits par la loi séparatisme en 2021 parce qu’ils étaient immoraux. Mais ils ne sont pas seulement immoraux, ils sont aussi inefficaces scientifiquement. Cela, nous le savons depuis 25 ans, mais l’information a décidément bien du mal à passer.