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Billet de blog 3 juin 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 2 épisode I

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

DEUXIÈME PARTIE
Kytheris
 
I
- Curiosité -


La voix douce de Sana, comme celle d’une mère, réveille calmement la scientifique.
— Sela... Sela !...
— ...Salut Sela, je m’occupe de toi, tu vas retrouver progressivement toutes tes fonctions. Mais pour le moment, laisse-toi dorloter.
Selamawit, un peu tremblante, le cœur battant légèrement, ne peut que fermer les yeux et les rouvrir pour signifier qu’elle a compris.
*
Le lendemain, Sela a déjà été hydratée, nourrie en intraveineuse de liquides alimentaires. Et à plus de vingt-quatre heures de son réveil, elle peut enfin parler correctement, ayant retrouvé sa motricité oropharyngée.
— Sana ? On est quand ?
La voix de Sana se fait plus rieuse.
— Heureuse de te réentendre, Sela. Nous sommes, selon le calendrier humain, le 19 mai 2298.
Selamawit, avant de reprendre complètement ses esprits, a du mal à assimiler. Un long silence s’installe avant que la passagère remette son cerveau en ordre de marche.
— Comment s’est passée la cryonisation, Sana ?
— Très bien, le ralentissement métabolique, parfait ; la réduction de ton activité cérébrale à 0,01 %, tranquillou, et la congélation a été totalement maîtrisée par mes soins.
Selamawit retrouve le ton un peu badin de Sana, et ça lui fait du bien. Elle ne peut s’empêcher de poser immédiatement une autre question qui lui brûle l’âme.
— Tu as eu des nouvelles de mon amour ?
— Oui, durant toute sa longue vie.
Selamawit retire les lunettes de protection qu’elle avait à cause de la lumière un peu agressive, mais elle y prend garde quand même, n’ouvrant que peu de temps ses yeux.
— Isla !
Un long silence emplit la chambre cryonique.
— Tu me raconteras sa vie ?
— Mais bien sûr. D’abord, tu vas pouvoir enfin manger, mais uniquement des purées aujourd’hui. Demain, on verra avec quelques légumes mous. Après-demain, promis, ¡Órale, compas ! ¡La pachanga está a la vuelta !’1]
— Au fait, si tu m’as réveillée, c’est que l’on doit être non loin d’une planète de classe M... À moins que ce ne soit déjà Thāl’iir ?
— Yes, capitaine Kirk ! Non, pas encore Thāl’iir, mais exactement Kepler-138e, à deux cent dix-huit années-lumière de notre planète d’origine.
— Eh bien, Scotty, tout ça me paraît très bien. Écran !
Apparaît alors sur l’holopan géant, la planète. Elle est presque entièrement faite d’eau, on ne distingue en plus que des forêts vertes marécageuses. Sa couleur, à ce niveau d’orbite géostationnaire, est vert émeraude profond veiné de turquoise.
— C’est extraordinaire !
— Mais ça n’est pas fini, ma grande.
— Ne me dis pas que ?
— Mais si, et même une civilisation...
— Merde ! Ils vont voir notre vaisseau alors ?
— Aucune chance, Sela... je les ai étudiés en amont avant que nous ne soyons en orbite géostationnaire. Comme là, ils en sont apparemment à un niveau “antique”, il n’y a aucune souci.
Selamawit sourit de toute sa joie.
— C’est formidable. C’est nous les Martiens, alors !
— Oui... en quelque sorte.
— Je peux les voir de plus près, j’imagine... Jorge y a pensé ? J’en suis certaine.
— Dans le mille, Sela. Tiens, regarde, je te fais un zoom.
L’holopan présente alors ce qu’on pourrait appeler un village. Il y a des habitations semi-marines, des constructions vivantes de trames végétales cultivées, des arbres tressés ou de coquilles élevées.
Un être, parmi d’autres de cette planète, apparaît à l’image dans cet estuaire semi-marécageux.
Il doit mesurer plus de deux mètres, ou deux mètres et demi ; une peau légèrement craquelée, comme de la céramique, de couleur sable verdâtre parsemée de fines veines d’un gris profond qui semblent s’effacer ou s’intensifier selon la lumière. Un visage rond, sans nez ; deux yeux en amandes verticales, un regard très calme, pacifique ; une bouche comme une petite fente mobile et agréable, sans aucune lèvre ; des branchies de chaque côté du visage, qui semblent s’animer à des rythmes différents, comme le ferait une bouche qui voudrait exprimer quelque chose. Aucun poil sur le corps, sauf une sorte de tresse au niveau de ce qu’on pourrait appeler le sternum, faite de fibres gris perle irisée, qui semble se mouvoir doucement dans l’interaction avec les autres. De longues jambes et deux bras, apparemment cartilagineux, trois doigts, dont le plus long est au centre. Des doigts palmés aux pieds et aux mains. Leurs gestes semblent en harmonie avec les battements discrets des branchies. Dans l’ensemble, cette unique créature dégage une aura de sérénité simple et sûre, et la longue toge végétale qui l’habille de la tête aux pieds, renforce cette idée.
Selamawit regarde ce personnage avec une empathie naturelle.
— Tu crois qu’on peut essayer de communiquer avec eux, malgré tout, Sana ?
— Il suffit d’essayer, Sela. Mais on va le faire d’une manière qui leur semblera “familière”, afin de ne pas les agresser inutilement.
— Tu vois ça comment ?
— Une bonne question... Comme j’ai eu le temps de les étudier avant notre arrivée, il semblerait qu’ils et elles aient des divinités, et l’une d’elles me paraît proche d’une idée des mathématiques.
Selamawit est impressionnée par la délicatesse de Sana.
— Excellente idée, et donc ?
— Je vais, avec ta permission, bien sûr...
— Tu l’as d’avance, tu le sais bien ! C’est moi qui t’ai créée.
— Merci docteur Freud... j’avoue. Mais il fallait bien que je t’en fasse part. Donc, une sonde ronde, holographique, ayant l’aspect de l’une des représentations de cette divinité. Celle-ci leur délivrera une suite logique de sons, en modulant d’une manière mathématique.
— Très très bien, Sana... Il suffira donc d’observer leur réaction.
— Oui, Sela. Et si aucune réaction ?...
— Eh bien, nous nous contenterons d’une sorte de safari touristique sans interaction. Envoie la “déesse”.
— Okay.
— Bien, maintenant tu vas me raconter la naissance de notre fille à Isla et moi, Liyara.
*
Jjarlaa, chef du village des Hharat  du delta, est en train de préparer le repas communautaire du soir, au centre de la place commune, lorsque l’apparition de la “déesse boule” se matérialise non loin de lui.
Tout d’abord, il a un léger et lent mouvement de recul. Puis, il reconnaît immédiatement Hji, la déesse des savoirs, avec ses dessins symboliques sur sa peau d’algues.
— Ppralp, hâte-toi, notre déesse se révèle à nos regards.
Ppralp, son épouse depuis plus de cent ans, s’approche doucement, lentement, tranquillement. Elle s’agenouille devant la boule pour être à sa hauteur.
— Ô Hji ?


[1] “La fête est juste au coin de la rue !”

(partie 2 épisode 2, le jeudi 5 juin 2025)

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