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Billet de blog 3 juillet 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 3 épisode VII

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

Troisième partie
Peloor

VII
- Révoltée -


2 janvier 2552.
C’est “le matin” à l’horloge biologique de Selamawit. Elle est en train de prendre un petit déjeuner agréable, d’un yaourt de soja et de menthe, un café et quelques fraises.
“Décidément, cette bioferme est une bénédiction” pense-t-elle.
— Sela, les choses semblent s’envenimer sur Peloor.
Interrompue dans ses pensées, Selamawit se lève.
— Bien, bien... je viens voir cela de mes yeux.
Quelques minutes plus tard, elle s'installe dans le salon, devant le grand holopan.
Sur les images en direct, une émeute a lieu, violente et réprimée avec force aux alentours de ce qui semble être une énorme usine dont les fumées brunes-vertes montent inexorablement dans le ciel.
— Ça me rappelle des images de la Terre, Sana. On pourrait faire quelque chose ?
Après quelques secondes, la réponse fuse, claire et nette.
— Non, Sela. Non pas que nous ayons une “directive première”, comme dans ta série visionnée favorite ; mais je crois que nous sommes obligées de ne pas intervenir dans les affaires de ce peuple. Dois-je te rappeler un triste souvenir pas si vieux ?
Le visage de Selamawit, en un instant, s’embrunit.
— Plus de deux-cents ans tout de même... mais oui, je m’en souviens... Lizoan.
*
Les flashs lumineux des carapaces sont comme des éclairs nerveux, secoués d’une rage qui s’exprimerait à travers ce qui était en temps normal des irisations douces et lentes.
Les forces de l’ordre, harnachées de lourdes protections et armées de longs bâtons d’où sortent des étincelles jaune orangé, comme ces petits bâtonnets sur Terre, à Noël. Évidemment, l’atmosphère de Peloor leur donne une autre luminosité, bien plus forte.
Ceux qu’on pourrait désigner comme “les prolétaires”, chargent leurs opposants gouvernementaux, faisant gicler du sang bleu-vert irisé ici et là dans ce “ballet” chaotique.
*
Le “soir” de ce même jour.
Selamawit est dans le salon, à côté du timon. Une holoflamme de bougie tremble sur le haut du petit gâteau en face d’elle depuis un bon quart d’heure, tenant dans sa main gauche un verre de whisky à moitié vide.
— Isla...
Elle pleure.
Glissant de la main de Selamawit, le verre tombe sur le sol en éclatant d’un bruit cristallin, répandant alcool et petits bouts de verre alentours.
— Ça ne va pas bien, Sela ?
Le ton de Sana est inquiet, en essayant de ne pas être importun.
— Cinq cents ans... ma chérie aurait cet âge biblique... et moi je suis là... comme une conne, à des milliards de milliards de kilomètres de ma planète... morte certainement... à cause de la connerie humaine !
Elle prend un autre verre, sous le plateau de la table basse et se ressert un whisky bien tassé.
Elle lève le verre en l’air.
— Un toast à la connerie humaine qui a débarrassé la Terre de sa propre présence.
— Sela, je ne voudrais surtout pas être importune, mais puis-je me permettre ?
Selamawit avale le liquide d’un trait, en se penchant en arrière.
— Mais oui ! Vas-y Sana, permets-toi... no problemo.
— Veux-tu que je te choisisse un peu de musique ?
Presque étonnée de ne pas recevoir de la part de “sa création” quelque remontrance de maman attentionnée ; elle se tait quelques instants, tout en se resservant un verre.
— Oui l’album de The Chieftains, “The long black veil”, édité par “RCA Records” en 1995.
Aussitôt, la voix spécifique et si reconnaissable, du célèbre interprète de l’époque, Sting, emplit le salon sur l’air de “Mo ghile mear”.
— Plus fort, Sana ! Plus fort ! Encore plus fort !
Sana, bien que consciente que faire cela c’est participer au caprice de quelqu’un de saoul, réalise le souhait.
Le son est amplifié de telle façon que l’habitacle entier devient une enceinte.
Selamawit, effondrée sur le dossier du fauteuil en tissu végétal, les bras ballants de chaque côté, le liquide déversé sur le sol, est hypnotisée par la musique, un album que chérissait particulièrement l’amour de Selamawit.
— Isla !...
Sana tente une initiative, afin d’essayer de détourner Selamawit de ses idées nostalgiques et son abus d’alcool.
Sur le large écran de l’holopan apparaît la révolution en cours.
— Rââââh ! Je m’en fous de ta directive première... je vais leur balancer ce qui leur fait défaut à ces travailleuses et travailleurs.
— Quoi donc, Sela ?
Selamawit se met debout, un peu chancelante quand même.
— Des œuvres qui ont fait leurs preuves... Le manifeste du Parti Communiste... après tout si iels en sont entre 1830 et 1930... c’est pile-poil... et tu sais quoi ?
— Non, répond Sana, cette fois sur un ton amusé, comme compréhensive.
— Je vais leur balancer la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, et pour faire bonne mesure, celle aussi d’Olympe de Gouges !
— Euh, tu vas faire comment pour qu’iels comprennent ?
Selamawit, debout... essayant de rester stable, se concentre pour essayer de comprendre ce que vient de lui dire Sana.
Elle reste ainsi de longues minutes, tanguant d’un côté à l’autre.
— Ouaip... bon... tant pis, iels feront la révolution sans moi. Moi je vais m’coucher !
“Sage décision”, pense Sana, un léger sourire amusé dans le son de sa voix intérieure.
*
La clause Aanya Virani[1], écrite en collaboration avec Selamawit en 2079, stipule que “En cas d’incapacité manifeste du sujet à exprimer un consentement éclairé (traumatisme psychique, corporel ou d’altération cognitive temporaire), Sana est autorisée à engager toute procédure visant à garantir la sécurité du sujet et/ou de la mission, tout en respectant la volonté fondamentale du sujet et de la priorité de la mission. La signature de cette clause exprime l’accord de la personne signataire.”
Tenant compte de l’état de Selamawit et de son incapacité à faire quoi que ce soit de plus pour le peuple loor, mais aussi ayant déjà enregistré le maximum d’informations sur cette planète et ses habitants, Sana décide d’entreprendre la procédure de cryonisation de Selamawit, de continuer le voyage et de pousser ses recherches de recréation du pont ER des Thāl’naï.
— ¡Órale, al desmadre... con estilo![2] dit Sana à haute voix, singeant José Ramón.


[1]  Psychologue indienne, née à Varanasi, spécialisée dans les relations humaines/humains-exohumains, membre de l’Hayl.
[2]  “Hop, au chaos... mais avec style !”

(partie 4 épisode 1, samedi 5 juillet 2025)

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