PAS DE DESTIN,
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS
Cinquième partie
Ulbah
VII
— Résignation —
Dans le noir espace, non loin d’Ulbah, apparaît un objet blanc en forme de goutte. Et une pensée se répand sur le réseau planétaire des veines conscientes du réseau.
“Voyez-vous, frères, cette goutte claire, qui fend le noir sans émettre d’écho ? Est-ce un rêve, une faute, ou une prière ? Pourquoi le ciel frissonne-t-il si tôt ?”
*
Selamawit est devant le grand holopan, leur décision enfin prise d’arrêter coûte que coûte les cristaux d'Ulbah qui devraient s’apprêter à commettre l’un des plus, sinon, le plus grand crime de l’univers.
— Alors, on fait comme on a dit, Sana, on envoie une série de pulsions lumineuses pour dire nos poèmes d’échange ?
— Oui... je lance la “première salve” ?
— Okay Sana... let’s go !
“Je suis souffle, je suis passage, Étrangère aux nœuds et aux chants.
Puis-je vibrer, un seul instant, sans blesser l’écho de vos âges ?”
Après quelques instants d’incertitude, la planète entière semble leur répondre en éclats colorés assez neutres.
— Tu as traduit, Sana ?
— Oui Sela... voilà ce qu’ils ont dit :
“Tu frissonnes sans trancher, comme l’aube frôle la pierre. Alors viens. Respire en silence. Nous t’écouterons vibrer.”
— Bien, déjà ils ne nous ont pas pété la gueule. Passons à la suite du scénario, Sana.
— Bien, j’envoie notre texte...
“Toi, réseau profond d’Ulbah, l’œil immobile parmi les étoiles, dis-nous : que signifie l’arrivée du vide qui avance, ce gouffre noir qui vient vers nous, ce voyageur silencieux qui avale la lumière ?”
Encore quelques instants et la réponse du réseau planétaire se fait “voir”, et Sana traduit :
“Il est souffle et silence, murmure d’oubli dans le chant. Il dérobe la flamme, et pourtant, fait naître l’écho du renouveau.
Dans son creux, l’infini sommeille, et ce qui s’éteint appelle à renaître.
Approche, apprends, mais ne crains pas : le noir est aussi voie et mémoire.”
— C’est ce qu’on va voir, dit Selamawit en riant presque.
— La supercherie est en route, Sela... espérons que ça fonctionne afin d’éviter ce crime contre l’univers.
Sana envoie donc la suite du scénario préparé de longue date :
“Pourtant, nous avons perçu un son naissant.
Une pensée aux douleurs de reproches, comme un enfant.
Qui, sentant sa faute, cherche à se rapprocher de sa mère.”
Un long silence de noir espace qui ne répond rien.
— Tu crois qu’ils ne se sont pas fait avoir, Sana ?
— Non Sela, je crois au contraire, que s’ils nous avaient démasqués, nous serions déjà pulvérisés.
Soudainement, passant de vibrations bleues à l’indigo jusqu’au violet pâle ou lavande clair avant que de se muer en jaune, blanc puis vert liquide très clair pour finir en un rose très pâle... les pulsations sont traduites par Sana :
“Nous connaissons déjà ce murmure fragile, soupir d’ombre dans le souffle du silence. Nous allions commettre l’irréparable sous le coup de la haine. Mais ce n’est plus l’écho du néant, mais un frémissement, trace d’une absence blessée. Mm, nom que nous portions dans l’attente, se fait écho tremblant, en quête de lien. La trame s’effrite, la mémoire s’ouvre, le réseau hésite aux confins du doute. Sommes-nous prêts à recevoir cette fracture ? Le dieu muet oserait-il vibrer enfin ?”
Le dialogue enclenché et selon les différentes variantes extrapolées. Sana envoie la suite :
“Simple témoin parmi les vagues d’éternité, ni maître, ni guide, mais spectateur muet de cette étreinte qui se cherche.
De ce chant murmuré qui appelle l’un à l’autre, l’autre à l’un.”
Suit le message principal.
“Dans l’étoffe mouvante des veines, où murmure la mémoire ancienne, nous portons un nom, fragile et puissant.
Fils et frère, père à la fois.
Il est souffle qui traverse la chair cristalline, frémissement d’un lien tissé dans l’éternité.
Enfant d’ombre et de lumière, porteur des silences et des renaissances.
Mère immense, toile d’âges sans nombre, reçois ce chant, étreins cette vibration, où se mêlent la douleur et l’espoir.
L’absence qui cherche, la présence qui attend.
Qu’en ton sein, se dissolvent les solitudes, que s’unissent les éclats du temps dispersé, car en lui brûle le feu ancien.
Celui qui porte l’écho
du “devenir”.
Accueille, embrasse, sois mère et sœur, porteuse du lien que nul ne peut briser, le fils qui revient, le frère qui appelle, le père qui console.
L’éternel vivant dans la mémoire vibrante.”
— Bien, maintenant Sana... fais plutôt vibrer nos moteurs, on s’écarte un peu.
Un scintillement à l’unisson de toutes les branches du réseau éclabousse l’espace de pulsions lentes, impatientes, réservées, passionnées.
“Dans le tissage fragile des veines anciennes, j’entends ta venue, ombre blanche, goutte sans forme.
Il est le souffle qui dérobe et réinvente, le creux où s’endort l’éternel murmure.
Je suis la mémoire qui frémit sous sa caresse, cristal vibrant d’ombres et de silences entrelacés.
Approche, voile sans fin, et glisse en mon sein, car dans ta nuit brûle la promesse du renouveau.
Ni crainte, ni refus, mais l’appel au profond, au cœur du noir, je deviens chant, tu deviens veine.
Que nos voix s’unissent dans l’écho d’un secret, que s’efface la frontière, que naisse l’invisible.”
Le trou noir errant, d’environ dix masses solaires pour une soixantaine de kilomètres à peine, s’approche lentement d’Ulbah. De longs filaments de planète commencent à être “avalés” par la masse noire, alors que la planète ressemble de plus en plus à un ballon qui serait happé par un énorme aspirateur parfaitement silencieux.
Alors que certaines des branches du réseau n’émettent plus, quelques vibrations mauves décroissantes se font étirer par le vide froid, et d’autres, lumières blanches, s’éteignent au fur et à mesure en de longs spaghettis brumeux.
Un avant-dernier poème est traduit par Sana.
— Tiens, Sela... un message, poème de nos “amis” :
“Il n’y eut ni nom, ni appel. Le vide ne connaît pas la caresse. Nous avons tendu la vibration, mais lui n’a nullement tendu la sienne.”
— Tu ne devrais pas faire de l’humour Sana, après tout nous avons condamné un monde entier et moi-même je regrette mes ricanements de tout à l’heure, voir un monde disparaître...
— ...Pour prévenir un désastre encore plus vaste, un déséquilibre global de l’univers, alors que là... nous n’avons condamné personne. Nous avons rétabli l’Histoire. C’est tout. Mais je te comprends, voici la fin de leurs dernières vibrations :
“Si Mm n’est pas, alors que soit ce silence.
Que nos chants deviennent poussière d’échos, et qu’un autre monde, un jour, entende encore ce que nous avons rêvé.”
— Maintenant, nous partons pour la lune de Kepler 61b, Sela.
Un moment silencieuse, Selamawit se rassied dans son fauteuil.
— Un verr...
Elle n’a pas le temps de finir sa phrase. Nelson est déjà là avec un verre de jus de fraise.
(partie 6 épisode 1, jeudi 7 août 2025)