PAS DE DESTIN,
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS
Septième partie
Tall’iir
III
- Zhào Yǔliáng -
13 mars 3521.
Selamawit, dans son fauteuil de bois tressé installé dans le salon après le concert de décembre dernier, prend son déjeuner préparé par deux des auto-serv’, Trevor et Benedetto.
— Cette délicieuse courgette, farcie aux petits légumes, franchement, bravo Benedetto !
Trevor, qui a servi, émet une sorte de requiem.
Selamawit rit aux éclats, en entendant ça.
— Mais non, Trevor... je sais bien que tu y as participé.
Elle leur tapote affectueusement la face supérieure de leur cube orange, puis les regarde s’en aller en dandinant.
— Sana ?
— Oui Sela, qu’y a-t-il ?
— Désormais il est temps, je me suis préparée, montre-moi la maison de ma rousse, Sana.
— Tu es sûre, Sela ?
— Vas-y... no blème !
C'est alors que ce qu’elle voit, même si elle s’y attendait, est insupportable.
Il ne reste à Howth que quelques pans de mur, comme une ruine romaine. Des plantes ayant retrouvé leur état naturel, libérées du carcan “humain” s’épanouissent dans la maison et autour. Les souvenirs des cultures d’Isla ont disparu. Seul subsiste le vieux muret, encore debout et visible, encerclant le jardin. Mais des centaines d’essences florales y habitent désormais... ce qui redonne un peu de sourire à Selamawit.
“Mon amour, tu aurais aimé, ton jardin de vie”, pense-t-elle.
Un arbre est seul parmi les végétaux rois. Un frêne majestueux, dans sa hauteur, ses ramures, la beauté de sa simplicité solitaire.
— Tu veux en voir un peu plus, Sela ?
— Si Sana, j’aimerais voir ce qu’il reste de l’intérieur de la maison d’Isla...
Sans vraiment s'être préparée... elle voit. Alors elle commence à ne plus pouvoir se retenir, un hoquet la surprend avant que les larmes ne coulent.
D’un coup, ses yeux se figent sur un objet qui brille à la lueur du jour, à côté d'un crâne humain. Elle ordonne.
— Sana ! Fais le point sur cet objet qui brille.
Sur l’écran, le zoom s’avance sur un objet, un cercle de pierre brune au-dessus duquel est apposée une sculpture en métal.
— ISLA ! crie Selamawit.
Elle tombe à genoux en silence, tenant sa tête dans ses mains, comme pour retenir le flot de ses pleurs irrépressibles.
*
15 mars 3521.
Selamawit réapparaît au timon après deux jours d’absence.
— Pardonne-moi, Sana, revoir cet objet... là... à côté de ce crâne...
— Je t’en prie, Sela, je sais que je ne connais pas réellement encore la mort...
— Tais-toi, s’il te plaît, dis-moi plutôt... raconte-moi le jour de la mort d’Isla.
— Vraiment, Sela ?
— Il faut que j’y passe, autant y passer tout de suite, certains disent qu’il ne faut pas savoir, mais pas moi. Je laisse ça aux autruches... en tout cas, quand il y en avait.
Se retenant de relever l’humour, même un peu noir, Sana semble se racler la gorge, comme une oratrice qui aurait besoin de prendre un moment avant de parler.
— Eh bien c’était le 7 décembre 2094, à Howth. Liyara était allée chercher des plantes en forêt pour soigner Isla.
— Qu’est-ce qu’elle avait ?
— Une connerie de grippe. Et en cette année-là, il n’y avait déjà plus aucun système de santé... depuis près de cinq ou six ans.
— Sur Terre, ça a été tellement ça ?
— Je te raconterai ça plus tard, tu veux ?
— Oui... faut pas que j’abuse de mes émotions. Et donc, si j’ai bien saisi, elle ne les a pas trouvés ?
— Si, votre fille qui avait presque quatorze ans, était déjà très en avance sur ses connaissances ancestrales.
— Mais alors ?
— C’est un espion chinois, qui a réussi à pister un ami de ta fille.
— C’est qu... C’était quoi son nom ?
— Tu me demandes le nom de l’espion ou celui de l’ami de ta fille ?
— Le petit ami d’abord !
— Zhào Yǔliáng. Il lui a appris le chinois, l’art herboriste et la calligraphie chinoise. Mais dire que c’était son...
— Arrête !...
Selamawit hésite entre deux émotions, la première de savoir que sa fille avait “un ami” à quatorze ans et la seconde qu’un chinois était venu exprès pour tuer son amour.
Au bout de quelques instants, elle se reprend.
— Bon, et cet espion ?
— Envoyé par le ministre chinois du renseignement intérieur, Li Zhengwen, qui après une période de rééducation, entre 2081 et 2091, devait se faire bien voir du pouvoir.
Selamawit, tout d’un coup, écoutant les précisions étonnantes de Sana, ne peut que l’interrompre.
— Dis-moi, au fait, si tu n’avais plus de connexion mentale avec mon Isla... comment peux-tu savoir tout ça ?
Un petit rire étouffé d’abord.
— Parce que ta fille avait le même don.
Selamawit, légèrement jalouse, se retient.
— Donc, je suis la seule à ne pas avoir de don...
Sana ne peut se retenir de rire. Emportant avec elle Selamawit dans une hilarité commune.
— Je suis là, déjà... répond Sana en douceur.
— Vouiii... vouii... admettons. Donc ce type... ce tueur ?
— Wú Shǎn... il est arrivé, il a fait ce qu’il devait faire.
Selamawit a ce ton qu’ont les enfants quand leurs parents commencent à leur dire n’importe quoi et qu’iels s’en aperçoivent.
— SANA... !
— D’accord... il s’est introduit dans la chambre d’Isla, et il l’a étranglée avec un fil de fer.
— L’ordure ! L’ordure !
— C’est à ce moment que votre fille est rentrée dans la chambre. Shǎn venait de finir sa besogne.
— Alors ?
— Elle avait justement le couteau de jardinage en main...
— Je vois le tableau.
— Oui... juste entre les deux yeux.
— Donc, ma douce, ma rousse est morte assassinée.
Selamawit n’y avait pas prêté attention, mais quelques auto-serv’ étaient là. Ils avaient tout entendu, ils ne bougeaient plus un boulon.
— Que se passe-t-il ? Selamawit demande-t-elle à Nelson.
Un air triste passe de l’un à l’autre des auto-serv’:
“Ne chantez pas la Mort, c´est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu´il est dit.”[1]
Étonnée par ce comportement, Selamawit demande à Sana.
— Mais qu’ont-ils donc ?
— Ils ne connaissent pas la mort.
[1] Extrait d’une chanson de Léo Ferré, “La mort”.
(partie 7 épisode 4, mardi 9 septembre 2025)