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Billet de blog 12 juin 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 2 épisode V

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

Deuxième partie
Kytheris

V
- Crainte -


26 mai 2298.
Sur la planète Kytheris.
Lizoan s’est endormie après une longue discussion de plusieurs temps[1], tissée de sons et de gestes. Selamawit a même commencé à apprendre quelques rudiments de base du langage Hharatien, et inversement pour Lizoan. L’holoSela a fait comme son hôte, elle s’est couchée ; tandis que “la” Selamawit du vaisseau est dans le salon, à côté du timon pour prendre une pause, face à un verre de ce bon whisky d’Oban, offert par sa tendre rousse avant leur départ de Londres... il y a si longtemps, et pourtant, pour Sela, cela ne fait que près de trois mois, tout au plus, de “vie” consciente.
— Dis, Sana, maintenant qu’on a enfin un peu de temps, raconte-moi la vie de mon Isla si loin.
— Bien sûr, Sela. Liyara est donc née le 20 octobre 2080, juste après notre départ. Isla s’en est occupée, et elles ont grandi ensemble en humanité. Elle lui a apporté tout ce dont pouvait avoir besoin une petite fille dans un monde chaotique. Liy’, comme l’appelait Isla, a montré dès sa petite enfance un don particulier pour le dessin technique et aussi la musique. À presque cinq ans, elle a appris toute seule à jouer du washint[2] et du begena[3]...
— Oh formidable, coupe Selamawit, émue que leur fille ait eu cet amour d’instruments de musique qui rappelle tant de souvenirs d’enfance à Selamawit.
— Je te sens émue, Sela.
— Oui, Sana, ça me rappelait, après avoir quitté très jeune Addis Abeba et avoir commencé ces études à l’université de Bahir Dar[4]. J’étais moi-même très attirée par la musique... ou plutôt l’étude des instruments de musique traditionnels éthiopiens.
Sana prend un ton amusé.
— C’est assez normal alors que votre fille, dès l’âge de sept ans, ait inventé un instrument de musique.
— C’est pas vrai ?
— Eh bé si... le Nébel-Wa, instrument hybride à vent et à cordes vibrantes. Liyara disait qu’elle aimait le faire “chanter en respirant”.
— Et ma douce rousse ?
— Elle s’est passionnée pour le jardinage et l’agroalimentaire de crise. Si bien que plus tard, grâce à ce qu’elle avait appris durant sa vie, elle a pu aider ses proches à Howth.
— Je l’imagine, ma chérie, en train de bêcher en s’amusant avec Liyara. Lui apprenant à vivre de peu.
— C’est ce qu’elle a fait, Sela.
— Bon, tu me raconteras d’autres épisodes plus tard... cette fois, j’ai sommeil dans la vraie réalité, dit-elle.
Elle part dans sa chambre en s’amusant de voir son image, là, dans la cabane, faite d’une charpente de coraux géants sculptés et recouverts de tissus organiques d’algues et de mousses bioluminescentes. Sana entend même le doux bruit de l’eau qui clapote sous le plancher de bambous et de lichens.
*
27 mai 2298.
Selamawit sort de sa chambre, bien avant le réveil de son double.
— Un café éthiopien bien fort, sans sucre, s’il vous plaît.
Un autoserv’ arrive doucement quelques minutes plus tard, avec un plateau, une tasse de café chaud fumant et une poire mûre à souhait.
— Ah, bien Jack ! La poire, c’est une belle initiative.
— Sela, tu l’appelles “Jack”, maintenant, cet autoserv’ ?
— Ben pourquoi pas ? Tu me ferais pas un peu de jealous rock ?[5]
Sana se tait et soudainement, la voix rauque d’un chanteur des siècles passés se fait entendre.
— Dis, tu me passes ce vieux machin ?
— Ouaip, ma’am !
Selamawit explose de rire.
*
— Selamawit ? prononce assez correctement Lizoan.
Elle tapote gentiment l’épaule de l’holoSela, qui se réveille doucement, avec le clapotis de l’eau sous le sol.
— Quelle heure il est ? dit-elle sans s’en rendre compte.
“Tchi–tshhh ?” répond Lizoan avec un léger petit clic aigu suivi d’un petit glissement bref.
Selamawit, elle, simplement, cligne des yeux, souriante.
Lizoan a l’air inquiète, elle lui prend le bras assez prestement et la tire vers l’extérieur de la cabane, de l’autre côté du village.
L’holoSela, même si elle sait bien qu’elle ne risque rien, se laisse entraîner.
“Whrroa” fait Lizoan en roulant presque des yeux. Comme un grondement doux et ondulant, un appel au rapprochement, presque maternel. Puis un “Tshiiik”, un très bref petit cri strident, accompagné d’un geste de la main montrant l’extérieur. Enfin, un “Hhaa-laaaa” plus grave, un souffle descendant, traînant.
C’est juste à cet instant précis, alors que les deux femmes partent en courant dans le marécage, que des cris aigus se font entendre dans tout le village.
Des lances en bambous volent autour d’elles, de longues lances pointues, de plus de deux mètres.
L’une d’elles, parfaitement lancée, transperce brutalement le front de Lizoan, qui est projetée en arrière, contre le tronc d’un énorme bambou.
L’holoSela est effondrée, elle essaye de retirer la lance, mais n’y arrive pas, tellement cette dernière est enfoncée dans la plante coriace.
— Liz’ ! Meeeerde ! 


[1]  NdA : On ne parle pas en terme “d’heures”, ça n’a aucun sens.
[2]  Flûte éthiopienne oblique simple et naturelle fait d’un tube en bambou ou en roseau, avec quatre à six trous. Un son clair, doux, parfois soufflé ou tremblant. Peut être très mélodique ou imiter des sons de la nature.
[3]  Grande lyre sacrée, allant jusqu’à un mètre de haut. Fabriquée en bois et peau. Un son grave, bourdonnant, très méditatif. Les cordes vibrent longuement. Utilisée surtout pour la musique spirituelle, souvent pendant le jeûne dans la tradition éthiopienne orthodoxe.
[4]  Université de Bahir Dar (BDU) est une université publique de recherche située à Bahir Dar, la capitale de la région Amhara, en Éthiopie (création 1954).
[5]  A-t-on besoin vraiment de préciser la réf de ce jeu de mots ?

(partie 2 épisode 6, samedi 14 juin 2025)

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