L’OMBRE DE L’ÉCARLATE (XXV)
- La chute -
Début août 1964. Paris.
Appartement du 6ᵉ étage du 112, avenue du Général Leclerc.
Lorsque la lampe a totalement disparu, c’est comme si personne ne l’avait vue. Irène se tourne, le joint entre les doigts, vers l’amour de sa vie, Eilean.
— Tu en veux, aujourd’hui, ma chérie ?
Eilean secoue la tête silencieusement. Elle fait un bisou tendre à sa moitié.
Philippe, lui, toujours câlin, se pelotonne contre son compagnon cubano-américain, Marcos.
C’est ce dernier qui semble un peu perturbé.
— Vous n’avez rien entendu ?
— Quoi donc, Marcos ? dit Irène, rieuse.
— Je sais pas... il m’a semblé que... mais ça doit être cette beuh. Dis, Philippe, toi qui es le propriétaire des lieux, il ne s’est jamais rien passé de bizarre dans cet appartement ?
Philippe Lamorie réfléchit.
— Notre grand-père, Maximilien, à Irène et moi, nous parlait souvent de cette histoire qu’il tenait lui-même de son grand-père.
— Woooa Phil’ my love... réagit Marcos, those old stories ? I just love ’em ; especially when it’s family stuff.
— Oui, vas-y Philippe, dit Irène, déjà conquise d’avance.
— Eh bien, je crois me souvenir que ça se passait en 1824... Non !... 1822. Deux hommes sont partis du 114 pour aller assassiner un ancien militaire. Je ne me rappelle plus son nom... attendez...
Il réfléchit profondément, les yeux fermés.
— ...Baptiste Jorat !
— Baptiste Jarot, tu veux dire, frangin, le coupe Irène, qui, de par ses études d’Histoire, a forcément un point d’avance.
— ...C’est ça, Irène ! Merci... et donc ces deux types, après l’explosion de leur “machine infernale”... C’était sur un des quais de Seine. Ça te dit quelque chose, Irène ?
— Oh oui ! Baptiste Jarot était un des préférés du roi Louis XVIII. L’explosion de l’appartement où il se trouvait, quai des Célestins, est considérée comme le premier attentat à l’explosif ; après celui de la rue Saint-Nicaise, bien sûr. On a dit qu’il était chez une de ses maîtresses, une madame... Reblochon... ou un truc comme ça. Elle a toujours nié, disant que le maréchal Jarot avait organisé une réunion de son groupe de ralliés de l’Empire, chez elle, pour des commodités géographiques je crois me souvenir.
*
Madeleine vient de sortir sur le palier du 112, à ce sixième étage. Son frère la rejoint presque aussitôt, pour se faire pardonner, laissant leurs compagnons respectifs dans l’appartement.
— Madeleine, pardonne-moi. Je sais bien que tu as échappé au pire avec cet énergumène de l’Hôtel-Dieu quand tu avais huit ans. J’ai l’impression que ce que vous m’avez raconté, maman et toi, à votre retour, a changé ma vie. Évidemment, il est difficile de dire à quel point l’avenir peut être chang...
Il est interrompu par l’arrivée, là, devant eux, d’une forme aux couleurs rouges et violettes. L’image d’un homme, à un moment — un homme habillé comme dans les films hagiographiques sur la Révolution de 89. À un autre moment, celle d’une femme... une femme que tous les deux connaissent bien, surtout Madeleine évidemment. Une femme aux cheveux rouges. Mais au lieu d’une colère meurtrière, la femme paraît apaisée, presque “sage”. C’est l’homme qui se matérialise.
Silencieux, devant sa lointaine descendante, Jean-Baptiste Jarot reste coi, alors que la nuée féminine ; cette fois entièrement rouge ; flotte doucement, comme attendant son retour en elle.
— Tu es ma descendante, à ce que m’a dit Joséphine.
Gustave est sidéré, stoïque. Madeleine semble tout à fait rassurée.
*
— Eh ben dis donc, pour être une histoire... c’est une histoire, rigole presque Marcos. Il se tourne vers Eilean.
— Tu m’passes le joint, camarade ?
Elle sourit. Le côté révolutionnaire guévariste de Marcos lui semble tellement romantique. C’est son côté irlandais, au cœur tendre.
— Yes... camarade !
Mais elle revient à Philippe, emportée par sa curiosité naturelle.
— Donc, la famille Lamorie, si j’ai bien compris, est propriétaire de cet appartement depuis au moins 1822 ?
— Eh oui, Eilean !
Philippe, qui vient d’entendre, lui aussi un bruit étrange sur le pas de la porte, se dirige vers l’entrée.
*
— Je suis heureuse de voir que Madeleine ne soit plus aussi en colère.
— Oui, nous nous sommes expliqués. Je lui ai dit d’être heureuse que Paolo Teriardi m’ait volé ma fortune, ce jour-là, 10 juin 1797. J’allais faire l’erreur de partir pour l’Angleterre. C’est juste avant qu’il n'arrive que je suis parti, laissant ma fortune et la croyant l’avoir suffisamment bien cachée... Mais ayant pris ce retard, j’ai évité le pire.
— Quoi donc, Jean-Baptiste ?
— Le bateau que je devais prendre a coulé à quelques distances de la rade de Toulon. Si bien que je vais partir, enfin... que je suis parti, comme mon ami Hughes Lafontaine, pour la nouvelle République américaine.
Madeleine pleure de joie, cette fois de reconnaissance envers l’apparition.
Elle se précipite dans les bras de son ancêtre pour l’embrasser. Mais malheureusement, elle trébuche sur un jouet en plastique oublié là par on ne sait qui. Si bien qu’elle et Jean-Baptiste tombent dans la cage d’escalier, jusqu’en bas, dans un fracas de bois brisé et de cris de douleur.
La forme vaporeuse écarlate se désagrège et disparaît, comme une ombre qui n’a jamais existé. Quant à Gustave, il n’est déjà plus là.
*
Quand la porte de l’appartement s’ouvre... Philippe regarde vers le bas, avant de se retourner vers les trois autres.
— Vous n’avez rien entendu, dites ?
— Non, non, rien.
— Je sais pas... j’avais cru... Bizarre ! Tiens, le fils de ma grande fille a laissé traîner un de ses trucs là... des Lego... écrasés évidemment !
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(samedi, le premier épisode d'un roman de Science-Fiction cette fois... “Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas”.)
Couverture de l'ouvrage