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Billet de blog 16 octobre 2025

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LA TROISIÈME ESPÈCE (chapitre 13 — Vientiane)

Alors que le monde est au bord de la guerre, en 1961, trois hommes à la poursuite d'un mythe...

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LA TROISIÈME ESPÈCE
Chapitre 13
VIENTIANE

— Le paquet a été livré, camarade. Merci de votre aide, moi et mes hommes repartons immédiatement pour Oulan-Bator.
Le professeur a l’air surpris.
— Ce n’est pas trop éloigné pour ce vieux Tupolev ?
— Nous ne sommes que quatorze... et nous sommes attendus aussi... Mais vous ?
— Monsieur Hallqvist, étant un de nos chers ennemis capitalistes, je crois que je vais devoir fermer les yeux.
Le commandant Morozov lui sourit.
— Vous survivrez prof ?
— Je crois.
Ils éclatent de rire avant de se séparer.

Théo paraît perdu. Sur la piste de l’aéroport de Vientiane, à côté des bagages de la petite troupe d'intellectuels, il regarde le Tupolev s’envoler.
— Mais comment on va faire maintenant ?
Einar, toujours sûr de lui, sort sa pipe de son gilet.
— Je vais aller voir Raja Savang Vatthana.
Théo a son visage qui s’illumine soudainement. Il regarde Einar avec encore plus de respect qu’avant.
— Co... comment... vous connaissez le roi du Laos ?
— Pas exactement, mais...
Il prend Théo par le bras.
— ...je vais vous expliquer, venez, il fait bon, mais j’ai envie de prendre un verre, et il y a certainement un salon VIP dans cet aéroport du bout du monde.
Samy dodeline de la tête.
— Un whisky à neuf heures du matin ! Est-ce bien raisonnable ?
— Non, mais ce que nous entreprenons n’est guère raisonnable aussi... non ?
Samy plisse les yeux, dubitativement.
— Mouaip... mouaip...
— Je ne veux pas être en reste, je vais prendre une vodka ! lance le professeur.
— Soit, mais j’en resterai au soda... et toi Théo ?
Toujours sous le choc de savoir que quelqu’un peut comme ça, décider d’aller voir un roi... comme on va voir n’importe qui, ça le perturbe.
— Je n’ai pas d’invitation... euuuh, Théo se reprenant... tu me demandais ?
— Que veux-tu boire ?
— Un whisky ! Une grande pinte de whisky !
Einar éclate de rire.
— Allons, allons, mon ami, c’est assez simple en fait. Nous avons besoin d’un avion capable de nous porter jusqu’à Auckland, et si ma mémoire est bonne, je détiens un reliquaire bouddhique qui aurait appartenu à Nakhon Noi, qui fut roi de la dynastie de Lan Xang au début des années 1580.
Théo boit littéralement l’histoire que raconte Einar.
— J’ai lu quelque chose à son sujet dans le National Geographic.
— C’est possible, mais je continue mon idée. Voilà, je pensais en faire don au Muséum de Stockholm... mais peut-être peut-il nous servir...
— Comment, demande ingénument le professeur Meier.
— ...en échangeant ce reliquaire contre un Lockheed Constellation.
Trois paires d’yeux exorbitées le scrutent en silence alors que le serveur arrive.
— Here, the two whiskies, the vodka, and the soda, yes ?
Einar fait un signe de tête vers le serveur qui pose les verres sur la table avant de repartir silencieusement.

Ce midi du 6 mars 1961, Samy, Théo et Friedrich allaient se mettre à table, lorsqu’apparaît à la porte de l’Hôtel Royal Mekong, leur ami Einar.
Ses moustaches à la Errol Flynn frétillent, ses yeux pétillent. Il s’approche à grands pas.
— Mes amis, je sais, je vous ai fait patienter deux jours dans cette geôle, ça n’a pas été simple... Il a fallu communiquer avec Kjell par télex afin qu’il fournisse les preuves de ma possession. Ensuite, il a fallu voir avec Bangkok pour un Lockheed Constellation... heureusement, il y en avait un. Une chance extraordinaire, l’un de mes amis depuis la guerre, Howard Hughes, venait de s’en acheter un... tout compris.
— Tout compris ? fait Théo, comme les autres, éberlués.
— Oui... avec le personnel !
Le professeur, en vieux camarade communiste, était au courant des pratiques de ces capitalistes... mais pas à ce point.
— Avec des travailleurs ? dit-il.
— Ils sont très bien payés vous savez... Howard est peut-être un anti-modèle communiste, mon ami, mais c’est un chic type... parce qu’en plus il a offert le Constellation au roi.
— Et vous allez offrir le reliquaire du coup ?
— Bien entendu... je n’ai qu’une seule parole... qu’est-ce que je ferais d’un Lockheed Constellation ? C’est pour cela que j’ai décidé Howard de l’offrir plutôt au roi, qu’à moi. Il me suffit, mon vieux Beechcraft... Bref, dans deux jours d’ici, nous partons.
Théo, déjà la serviette autour du cou, s’assoit.
— J'aurais au moins le temps de me reposer un peu.

(chapitre 14, samedi 18 octobre 2025 “Bangkok”)

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