L’OMBRE DE L’ÉCARLATE (XIV)
- Irène -
Le pasteur Fabien, suivi de son vieil ami, le père Simon, essaye de se forcer à sourire à cette si chère amie. Cette amitié née au maquis, durant la seconde guerre.
— Le Vatican... ma chère Paulette, c’est comme partout, un nid de vipères.
Paulette en reste bouche bée.
— Mais... je pensais que...
— Eh bien, j’ai eu... disons... une révélation.
— Je suis en plein coup de feu, on peut en parler tout à l’heure ?
— Qui sait.
*
La salle du petit restaurant “Chez Léonce” est vide. La fermeture a tardé à cause de quelques clients qui prenaient racine.
— Il y a quelque chose qui m’interroge, Antoine.
— Toujours ces questions théologiques, Simon ?
Il sourit.
— Non, je crois qu’on vient d’en parler suffisamment... Non, c’est plutôt... pourquoi ce restaurant s’appelle “Chez Léonce” ?
C’est à ce moment que la patronne arrive.
— Je lui dis, Antoine ?
— Vas-y, ma grande.
— Eh bien voilà : nous nous sommes connus dans le Vercors, en juillet 44. Antoine n’était pas encore pasteur, et il m’a sauvé la vie en sulfatant un escadron de nazis, et à l’époque, mon nom de guerre était... Léonce !
Le curé se tourne vers le pasteur, surpris mais avec un sourire compréhensif.
— Eh bien, vous vous êtes repenti ?
— Non. Le mal est le mal, et il faut l’éradiquer.
Soudain, un silence s’installe. Un blanc pesant, qui dure plusieurs longues minutes.
— Mais dis-moi, Antoine, que se passe-t-il ?
— Paulette, un grand trouble est venu s’immiscer dans ma vie.
La tenancière le regarde avec inquiétude.
— Tu veux m’en parler ?
— Je ne sais pas... Il va falloir que je retourne le plus rapidement possible voir un ami... à Asti.
— Asti ? Pourquoi ?
— Ma famille, les Fabien de l’Estreste, et celle, au Vatican, de l’un de mes amis chers, les Capovilla, auraient été mêlées à une obscure histoire.
— On peut savoir qui tu vas voir à Asti ? demande Paulette, curieuse.
— Tu ne connais pas. Je l’ai rencontré avant toi, en juin 40, à Cannes. Il s’appelle Romano Bergoglio. Il était alors un déserteur de l’armée fasciste italienne. Mais surtout, il m’a parlé d’un de ses cousins, prêtre... en Argentine.
— Et que vient-il faire là-dedans ? demande Simon Applegood.
— C’est simple. Romano m’en a parlé récemment, à Rome. Son cousin, Jorge Mario Bergoglio, possède certaines connaissances...
***
30 mars 1822, Marseille.
— Bergoglio, dai, vieni ! Che dice ?
Celui qui accompagne cet homme étrange sur le quai du port de Marseille paraît surpris.
— Federico, basta ! Francese !
— Pardon, patron.
— Bon, il veut savoir si on va à cheval ou en coche.
— Ah, c’est ça que j’avais pas compris... “le coche”. On y va à cheval, non ?
— Bien sûr, Federico. Le contrat est pour dans un mois, et le temps de monter sur la capitale avec le coche, on n’y arriverait jamais à temps.
— C’est qui qu’on doit buter ?
— Un certain Baptiste Jarot.
— Il a dû en énerver certains pour qu’on nous demande d’effectuer la besogne.
— C’est surtout parce que c’est un “héros national” chez eux, Federico.
— Je pige, Raffaello... je pige.
*
Brigade de Sûreté, Paris.
— Eugène, j’emmène le p’tit avec moi.
— Le Jérôme ? ricane Eugène-François Vidocq, un brin narquois.
— Faut bien qu’il fasse ses preuves. Le renseignement de ton pote Amedeo Scarfacci sur cet assassin, Bergoglio et son comparse, Genero, qui sont arrivés à Marseille est un bon début.
— D’accord, emmène-le. Mais pas de vagues. N’oublie pas que notre territoire, c’est Paris. Donc, vous êtes une ombre qui passe. On verra ensuite avec le Préfet.
— Pas de souci... Latue ! Radine tes fesses, on file fissa à Lyon !
***
Début août 1964, Paris.
— Marcos, tiens regarde.
— Quoi, mon chouchou ?
— C’est là que je suis né. Ma petite sœur aussi, 112 avenue d’Orléans. Maintenant c’est l’avenue du Général Leclerc... Tu savais que je l’avais connu ?
— Qui ça ? d’Orléans ?
— T’es con, j’t’adore. Non, Leclerc. Durant la guerre, au Cameroun, quand il a débarqué à Douala avec... vingt-deux hommes !
Marcos lui tape discrètement la fesse.
— Je sais Gus’, t’arrête pas de me raconter tes exploits. Mais allons voir ta “propriété”.
— Okay. Mais on doit se grouiller pour aller chercher ma sœur qui arrive du Tibet, à Orly.
— Avec cette Irène Lamorie ?
*
Aéroport d’Orly.
— Ma chérie, il est où ton frère ?
Madeleine cherche des yeux la bouille fraternelle dans la foule.
— Ici !
Elle court et se jette dans les bras de Gustave.
— Frangin !
Marcos, lui, regarde la grande fille aux cheveux blonds éclatants qui l’accompagne. Il lui tend la main.
— Salut, on est oubliés j’ai l’impression, sourit-il.
— Irène.
— Je sais. Moi c’est Marcos.
Elle lui rend son sourire.
— Je sais...
*
— Ah, le 112... tu te souviens, ma p’tite sœur ?
Face à l’entrée, Gustave, Madeleine, Irène et Marcos sont figés comme si tous étaient face à un monument antique.
— Rentrons, tu veux bien Gustave, j’ai besoin de prendre une douche.
*
La porte du petit appartement à peine passée. Madeleine se met à trembler d’une manière incontrôlable. Ses cheveux, si bruns deviennent rouges.
— Madeleine ! crie Gustave.
L’image de sa sœur se brouille, laissant entrevoir par intermittence l’image d’une vieille femme au rictus grossier et vindicatif.
— “Je te retrouve enfin,” dit la voix de l’apparition, “tu n’as pas fini le travail, Madeleine Lamorie !”
Madeleine, sous le choc, tombe sur le plancher, sans connaissance.
— Mais... qui est cette Madeleine Lamorie ? crie Marcos, à genoux à ses côtés, la voix étranglée.
— C’est mon nom de famille, répond Irène à Marcos.
***
Colette ouvre la porte de leur petit appartement du 112. Gustave, lui, en compagnie d’une jeune fille, se lève pour accueillir sa petite sœur. Il se tourne vers sa mère.
— Alors maman, ça a été avec Madeleine ?
— Oui, mon fils... j’ai failli faire une grosse erreur. Mais qui est cette jeune personne ?
— Ah, oui, c’est Irène. Une copine de classe. On étudiait “Le Surmâle”, d’Alfred Jarry.
— Tu ne devrais pas lire ce genre de choses à ton âge, Gustave.
Le garçon prend un ton mi déçu, mi frondeur.
— Tu m’as toujours dit que “lire, c’est comprendre”, maman.
Colette ne répond pas tout de suite. Elle s’approche, lui prend le visage entre les mains, et l’embrasse sur le front.
— Bien sûr. Tu as raison.
Puis elle se tourne vers Irène, qui s’adresse, elle, à la petite Madeleine.
— Bonjour, moi c’est Irène.
(Suite au prochain épisode...)