IsabelleGhn (avatar)

IsabelleGhn

Éditrice éclectique transfem

Abonné·e de Mediapart

107 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 juillet 2025

IsabelleGhn (avatar)

IsabelleGhn

Éditrice éclectique transfem

Abonné·e de Mediapart

Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 4 épisode VII

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

IsabelleGhn (avatar)

IsabelleGhn

Éditrice éclectique transfem

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

Quatrième partie
Altha

VII
– Compréhension –


1er août 2749.
Selamawit revient de la bioferme avec un petit bol de fraises. Elle s’assied devant la table basse et commence à déguster les fruits les uns après les autres.
Nelson, sans avoir été appelé, arrive portant un plateau avec la tasse de café bien noir habituelle... il sifflote, cette fois très mélodiquement “A felicidade é como a pluma...”[1]
Selamawit lui tapote amicalement le haut du cube.
— Dis Sana, on a des nouvelles des f’miiirs ?
— Oui, j’attendais tranquillement que tu finisses ton petit déj’, Sela. Éiil m’a recontacté durant ton sommeil ; il a une information de première importance à nous communiquer et qui semble les inquiéter.
— Les cristaux psychonihilistes ?
Sana ne peut s’empêcher de rire à cette définition.
— Non, Sela, si j’ai bien compris, ce serait une autre civilisation très avancée... à environ quatre cent quatre-vingts années-lumière d’ici.
— Ah...
— Oui, et je suis de nouveau invitée à les voir.
Selamawit paraît étonnée, sans être fâchée.
— Pas moi ?
— Ne le prends pas mal, mais Éiil m’a dit que ta présence n’était pas requise et que de toute façon je te ferais un rapport complet de ce qu’il a à me dire... mais il te remercie de l’attitude respectueuse que tu as eue hier. Il avait déjà été en contact mental avec des “gens de ton espèce” comme il a dit, mais il ne l’avait jamais été avec une personnalité aussi intéressante que toi.
Selamawit se sent fière de pouvoir donner une “bonne image” de son espèce. “Après tout, c’est bien la première fois qu’un être d’une autre espèce me fait un compliment”, pense-t-elle.
— Je vais rester ici alors ?
— En fait, Éiil, qui est en contact secret avec le plus ancien des aops, m’a demandé si ça te dirait de rencontrer celui-ci.
— Si je m’attendais à ça... Un exodating !
— Éiil, je pense, rirait à ton expression terrienne... et crois-le bien, le rire est rare chez eux. Il a organisé votre rencontre avec Laaars, le très ancien aop.
— Il a quel âge ?
— Cinquante-six ans, ce qui est extrêmement vieux pour cette espèce.
— Tu me mets l’eau à la bouche, Sana... j’y vais en chair et en os, je suppose ?
— Tu supposes bien, un holoSela serait pris comme une insulte. Les aops sont très fiers et ont une haine farouche sur celleux qui emploient des subterfuges... un peu comme les fposiis, qu’iels détestent profondément d’ailleurs.
— Et je communique par quel moyen avec ce Laaars ?
— Ça va te paraître très étrange, mais les f’miiirs, comme tu le sais déjà, peuvent faire voyager leurs esprits. Éiil a appris ainsi quelques langues humaines.
— Mais comment ?
— Pour te dire ça rapidement, il fut en connexion avec des personnalités...
— Ne me dis pas... Gandhi, Martin Luther, Albert Einstein et Confucius ?
— Non, non, des gens totalement inconnus du grand public, mais de bonnes personnes quand même. Ainsi, il a lui-même enseigné à Laaars la langue anglaise, sachant que ce serait plus simple que l’amharique... puisqu’Éiil, rappelle-le-toi, était déjà au courant de notre voyage.
— C’est dingue tout ça, mais Anda e !
*
Après avoir déposé Jin-Sana[2] auprès d’Éiil, dans la zone sombre d’Altha, la légère navette se pose avec élégance sur le sol poussiéreux de la zone claire, juste à côté de l’habitation de Laaars. Il fait une chaleur torride.
L’aop l’attend au seuil d’une maison, à l’ombre. Il a sur la tête un rectangle blanc, plat, qui peut faire penser à “un chapeau”. Son bec énorme, un peu comme ceux de ces oiseaux immenses du cénozoïque, semble sourire. Deux de ses bras sont dans le dos et les deux autres, croisés sur sa poitrine ; ses quatre jambes à terre, dont deux pliées, ainsi que le ferait un humain en attente appuyé contre le chambranle de sa porte. Il est habillé d'une longue toge aux manches très larges et courtes, ouverte sur sa poitrine velue.
“Ce n’est pas Laaars qu’il aurait dû s’appeler, mais Clint !” pense Selamawit en souriant.
La vision lui fait penser à ces vieux films, les westerns spaghetti du siècle dernier. Elle s’approche de l’aop.
— Bonjour monsieur Laaars, Éiil m’a informé que vous me compreniez.
— Absolument, répond Laaars avec un léger accent suisse.
*
2 août 2749.
Selamawit, enfin de retour sur l’Aeon Trace avec Jin-Sana, paraît enchantée des moments passés avec Laaars. Quant à Sana, dès qu’elle est sortie de Jin, a eu une voix inquiète, cependant, elle s’enquiert de la rencontre de Selamawit avec Laaars.
— Ça a été un moment for-midable, Sana, on a parlé de nos cultures... je me suis même permise de lui donner mes premières impressions, quand j’ai débarqué.
— Ah ?
— Oui, ça m’avait fait furieusement penser aux westerns spaghetti, tu sais, des années 1960.
Sana éclate de rire.
— Je vois, mais tu es restée correcte ?
— Bien sûr, ses griffes étaient impressionnantes... en fait il a même ri avec moi de la comparaison, même s'il ne comprenait pas forcément la subtilité. 
— Vous avez parlé de quoi ?
— Je me suis permise de lui demander un peu plus sur les fameuses mantes religieuses, les fposiis...
— Que t’as-t-il dit ?
— Que cette espèce était considérée par elleux comme des “légendes noires”. Il m’a raconté son “rite dans l’intermédiaire”...
— Ah ? Ils appellent ainsi la zone semi-sombre ?
— Oui Sana. Et crois-moi, ce rite est un peu comme une “recherche du Graal”, mais le “Graal” ici c’est “la mort”. Les fposiis sont redoutées, avec une pointe de cynisme envers elles.
— Et ensuite, que t’as-t-il dit ?
En fait, ensuite nous avons bu et chanté... j’ai appris une de leurs chansons. Tu veux l’entendre, Sana ?
— Excellente idée, Sela, je suis toute ouïe.
Selamawit, se racle la gorge...
Sooot Bett râa Mpiol t tâ am Liiir,
Osol ed aaaard tufenl hhr pu frignolbeer
Talbrrr nek aor, nak meeuul brrr
T nek err lf râa Groy pal-priiist.[3]


[1] “Le bonheur est comme une plume”, extrait de “A felicidade”, de Vinícius de Moraes et Antônio Carlos Jobim.
[2] Jin, l’une des autoserv’ nommée par Selamawit en chapitre 5 de la partie 3 dont se sert Sana pour se déplacer “physiquement”.
[3] Librement inspirée de “Sweet Betsy from Pike”, de John A. Stone (1858).Chantée avec l'accent suisse, ça vaut le détour !

(partie 5 épisode 1, mardi 22 juillet 2025)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.