LA TROISIÈME ESPÈCE
Chapitre 15
SINGAPOUR
Dans le cockpit, règne une atmosphère silencieuse, lorsque le professeur Meier arrive.
— Finalement, à Bangkok, c’est bien à Monsieur Hughes que nous devons d’avoir échappé à un contrôle ?
Le professeur, qui s’adresse ainsi à Einar Hallqvist en cette fin de journée du 8 mars, semble presque fâché.
Einar, très sûr de lui, répond sur un ton le plus neutre possible.
— Oui, cher professeur, mais je ne m’étais pas encore rendu compte à quel point, à notre époque, un citoyen de RDA pouvait avoir des problèmes en voyageant à l’Ouest.
— Quand il peut voyager, intervient Samy qui venait aux nouvelles.
Friedrich Meier a l’air étonné.
— Je croyais que vous étiez un communiste sincère, mon cher Samy, vous me décevez.
— Professeur, votre position dans l’appareil d’État, et surtout, votre amitié... particulière avec le chef de l’État soviétique vous donne certains privilèges. Mais je vous assure que vos compatriotes ont peu l’occasion de pouvoir aller où ils veulent.
Le professeur est un peu ébranlé par ce que vient de lui asséner Samy, car il le sait bien, il connaît bien Nikita. Pensif, il fait demi-tour.
Einar, toujours à son poste de copilote, se tourne vers Samy.
— Je crois que vous l’avez poussé dans ses retranchements, cher Samy.
— Je l’espère, c’est un homme bien, au fond.
— Oui, je pense comme vous.
— Sinon, j'étais venu pour savoir quand arriverons-nous à Singapour ?
— D’ici une demi-heure je pense, mais je ne sais pas si ça sera plus simple qu’à Bangkok.
— Pourquoi ?
— Bangkok est plus permissive... Singapour pour être plus “sûre”, n’en est pas moins plus surveillée.
— Heureusement que nous ne faisons qu’un voyage de recherche archéologique, alors.
Einar, certainement détendu par ce que vient de dire Samy, se met à rire.
L’hôtesse de l’air prend le micro et fait son annonce.
— Messieurs, nous allons atterrir à Singapore International Airport. Veuillez bien attacher votre ceinture et demeurer assis jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil, je vous remercie.
Samy, toujours à l’affût de nouveaux paysages, regarde par son hublot. Singapour, ville moderne, se déploie en un patchwork de toits rouges entourant les anciens bâtiments coloniaux de l’État de Singapour. Il voit les rues grouillantes de voitures, de cyclistes et de nombreux piétons affairés. Par-ci, par-là, entre kampongs et jardins, sillonnent les rivières scintillantes au soleil de cette fin de journée. Plus loin, le port est toujours animé de barques et de cargos chargés de marchandises en partance ou à l’arrivée. Un peu plus sur le côté, l’aéroport sous un ciel légèrement brumeux, apparaît avec sa piste et ses hangars, sous les dernières chaleurs de la journée. La ville paraît compacte et grouillante, offrant un contraste saisissant entre modernité du siècle et traditions locales.
Une fois l’avion sur son parking, Einar se lève et va rejoindre ses compagnons.
— Messieurs, mes amis, Howard m’a contacté tout à l’heure, il paraît que le professeur Percy a disparu.
Tous se regardent, perplexes.
— Comment ça, “disparu” ?
— Il paraît que notre professeur de philologie, Llewellyn Percy, ne s’est plus montrée après le 25 février... il y a près de dix jours !
Le professeur Meier réagit le premier.
— C’est juste le jour du coup de téléphone d’Anli.
— Exactement.
— Mais pourquoi cette disparition ?
— C’est exactement le problème, Howard m’a donc assuré de son plein soutien. Il nous délègue deux de ses collaborateurs, que nous prendrons en route à Darwin.
— Des collaborateurs ?
Théo a ce regard qu’il a quand il ne comprend pas. Einar y est habitué maintenant, il lui met la main sur l’épaule.
— Deux hommes dont le métier est de dissuader ceux qui voudraient nous faire des misères.
— Ah ! Des hommes de main. Et comment s’appelle ces personnes ?
La question prend Einar de court.
— Euuuh, j’avoue... j’ai oublié de le lui demander.
— Monsieur, le plein et fait, l’équipe a fait les vérifications d’usage avant décollage. Tout est en ordre.
Einar, les écouteurs sur les oreilles, fait signe de patienter au technicien de la TWA qui vient de lui parler.
— Ouiiii ?... Dallas ?... Non, je voudrais parler à monsieur Hughes.
Il met la main sur son micro et se tourne vers le technicien.
— Je suppose que tout va bien ?
— Exactement, monsieur.
— Merci...
Il semble qu’on lui parle dans les écouteurs, il fait un signe amical au technicien qui s'en va.
— ...
— ... oui, monsieur Hughes ?... Non, je ne suis pas journaliste, je suis un ami de monsieur Hughes.
— ...
— Bien sûr ! Mon nom est Einar Hallqvist.
— ...
— Bien, d’accord, je patiente.
Le professeur Meier arrive à cet instant dans la cabine de pilotage. Le navigateur, désoccupé, se pousse pour laisser passer le professeur.
— Dites... on devrait y aller là, non ?
Einar lève une tête fatiguée.
— Professeur, je m’en occupe dès que j’aurai eu mon ami...
Le vieux professeur, d’un air très amical, lui pose une main sur l’épaule.
— Bah... ça arrive à tout le monde d’avoir des oublis.
À cet instant, un bruit dans le casque le rappelle à son impatience.
— ...
— Howard ?
— ...
— Bien, bien, nous allons très bien. Mais...
— ...
— Comment ?
— ...
— Non, non, nous sommes encore à Singapour. Mais justement, j’ai oublié de vous demander le nom de vos... collaborateurs.
— ...
(chapitre 16, Jeudi 23 octobre 2025 “Jakarta”)