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Billet de blog 22 mars 2025

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“L'ombre de l'Écarlate” (épisode I) roman policier-fantastique

Un mystère familial en 1902 et en 1963. L'étrange, le surnaturel se composant dans un quotidien prolétaire.

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L’OMBRE DE L'ÉCARLATE (I)
- Questionnement -

Paris, 1963. Il fait beau en cet été. Les rues de la capitale grouillent de touristes, harassés de chaleur. En petites grappes, ils sont assis aux terrasses des cafés de la Porte d’Orléans.
Un bus passe, s’arrête, et un curé en sort. Toujours en tenue “clergyman” de couleur grise et une chemise à col romain blanche, comme l’autorise le pape depuis peu.
Il s’avance, décidé, sur l’avenue du général Leclerc, en direction de Saint-Pierre-de-Montrouge, l’église immaculée qui pointe son clocher dans le ciel bleu.
Il s’arrête devant le n°112, prend un papier dans sa poche et semble vérifier qu’il est à la bonne adresse.
Il s’avance, pousse la porte du hall. Regarde sur la liste des habitants.
“Ah... Gustave Jarot, sixième étage, au fond du couloir, à gauche”, lit le curé.
*
— Bonjour mon père.
— Bonjour mon fils, vous voyez, je suis venu à votre invitation, votre lettre m’a intrigué.
— C’est ce que je pensais, mon père... et espérais.
Le serviteur de l’Église est perplexe et un rien curieux de connaître enfin le fin mot de cette lettre.
— Asseyez-vous, je vous en prie, mon père. Voulez-vous quelque chose à boire ?
— Eh bien, après un si long voyage depuis Beaune, ce n’est pas de refus, si vous avez du whisky cela me requinquerait.
Gustave sait les goûts du père Simon, aussi il s’était fendu d’une bouteille de marque, histoire de remercier le prêtre de son long voyage depuis sa province.
— Je m’en suis un peu douté mon père, aussi j’ai acheté de quoi vous “requinquer” de ce long voyage.
— C’est un grand bien que ces attentions, mon fils. Je me souviens que votre père... quand j’ai atteint ma majorité, m’avait offert une bouteille de whisky.
— Tout mon père, rigole Gustave, avec nostalgie.
Le curé a l’impression d’avoir perturbé son hôte.
— Pardonnez-moi, mon fils... quel âge aviez-vous lorsqu’il a disparu ?
Les yeux de Gustave s’embrument.
— Neuf ans, mon père... neuf ans à peine, papa, je m’en souviens, était toujours resté un grand garnement, c’était pour moi comme un ami, c’est sans doute malheureusement pour ça qu’il a disparu si soudainement.
Le prêtre se rembrunit.
— Oui... 1899... une époque troublée. Mais, trêve de papotages, racontez-moi.
Le petit appartement de Gustave Jarot, baigné de soleil, semble s’assombrir à cet instant précis.
L’hôte s’assied en face du père Simon et sert à eux deux un bon verre de l’élixir écossais.
— En effet mon père, je vais vous raconter... voilà, cette histoire je ne puis la dire qu’à vous... ça a commencé en...
 

***

 1902, la fin septembre est grise et froide à Paris, le jeune Gustave rentre de l’école.
Au bas de l’immeuble, 112 avenue d’Orléans, il y a un attroupement autour du marchand de journaux.
— Comment ça, il est mort ? Mais comment ? Un coup des militaires ?
— Non, bêtement... le poêle !
— Ah cette sorte de chauffage... quelle plaie !
Le jeune garçon s’approche du marchand, qu’il connaît bien.
— Octave, que se passe-t-il ?
— Ah, mon petit, c’est une grande perte pour la littérature française. Émile Zola est mort cette nuit.
Gustave, fervent lecteur, a déjà lu quelques œuvres de ce grand écrivain.
— Quelle tristesse, monsieur Gachont.
— Oui, mais va... ta mère m’a dit de ne pas t’accaparer. Je crois qu’il y a besoin d’aller faire des courses.
Le jeune garçon sourit, et s’en va en courant, oubliant pres-que la mort de Zola.
*
— Maman ?
— Ah, te voilà enfin... où étais-tu ?
Le jeune garçon de douze ans se sent pris en faute.
— Je revenais de l’école. Je suis juste resté quelques instants avec Octave. Émile Zola est mort cette nuit, il paraît.
Sa mère, Colette, se radoucit, frotte les cheveux de son “grand” fils.
— Allez ! Va chercher du lait chez madame Toinette, pour ta petite sœur.
À peine sa mère a prononcé ces quelques paroles, que la petite arrive en courant et se jette dans les bras de son grand frère.
— Gustave, mon cher frère. J’ai appris la mort du grand Zola. Tu dois être bien triste ?
La petite, malgré ses huit ans, est très en avance sur son âge. Sa partie de la chambre des enfants est remplie de piles de livres, Baudelaire, d’abord, Zola, évidemment, Proust, ça va de soi, Jaurès, aussi, et depuis peu... les traductions d’Edgar Allan-Poe, si bien qu’elle a déjà commencé à apprendre l’anglais.
Le jeune garçon, qui adore la petite Madeleine, la poutoune fraternellement.
— Ça devait arriver, tu sais, surtout avec ses procès et les avanies dont il a tant souffert.
Les bras de Madeleine enserrent la taille de son frère. Elle pleure silencieusement.
— Oui, c’était un bon homme.
La mère, tendrement acquise à leurs embrassades, intervient.
— Gustave... madame Toinette, s’il te plaît !
 

***

 Le court récit de sa jeunesse et surtout l’émotion de l’évocation de sa petite sœur, lui tirent des larmes chaudes qu’il essaye de retenir.
— Mon fils ?
Gustave se reprend et relève la tête, en se forçant d’un sourire sincère.
— Oui mon père ?
— Avez-vous des nouvelles de Madeleine ?
— Non, depuis son voyage au Tibet, sur les indications de madame Alexandra David-Néel... aucune.
— À son âge !
— Oui, je sais mon père, ça fait partie du récit que j’ai à vous révéler.
Intrigué, le prêtre se penche en avant, comme s’il devait écouter une confession.
— Madeleine... dit Gustave.
Il retient son émotion.
— ...Madeleine m’a dit avant de partir, qu’elle avait reçu un “message” de notre grand-mère.
Le père Simon se rejette sur le dossier de son fauteuil.
— Mais... elle est morte !
— Oui, je le sais bien, c’est le drame familial. Assassinée par on ne sait qui en 1881.
— Mais que va-t-elle alors faire au Tibet ?
— En effet...

(suite au prochain épisode) 

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LE LIVRE DU JOUR de Denis éditions

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