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Billet de blog 22 mai 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — épisode III

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS
III
- Liyara McIntyre-Bekele -


— Isla ! s’écrie Selamawit en se précipitant.
*
Matin du 15 février 2080.
“Centre Médical de Zawadiya James Barry”[1].
Selamawit, accompagnée d’un des amis du couple, Edgar Poetry, fait les cent pas dans le couloir de ce troisième étage.
— Allons, Sela ! essaye Edgar pour la rassurer, tout va bien se passer ; votre enfant sera, j’en suis certain, l’un des plus beaux et merveilleux métis éthiopio-écossais.
— Je sais, Ed’, mais je ne m’attendais pas à la voir comme ça, étendue sur le sol de notre bungalow.
La doctrice Sokela Mbanzulu s’approche de Sela en souriant.
— Bonjour madame Bekele, votre symbiogenèse[2] s’est fort bien passée. Isla va très bien, il semblerait juste que, dans son état, elle doive se reposer le plus possible, et surtout qu’elle ne soit pas trop exposée à la chaleur de notre Ngola Nova.
Selamawit éclate de joie et, s’approchant de Sokela Mbanzulu, lui demande une permission.
— Du moyo ?[3]
La doctrice lui sourit en écartant les bras.
— Vous souhaitez aller voir votre compagne, je suppose ?
*
Selamawit, silencieuse, regarde sa douce endormie. Elle lui tient la main.
— Je suis désolée, ma rousse, j’aurais dû être là, dit-elle à voix basse, comme une confession de reproche.
Isla ouvre un œil.
Isla ouvre l’autre œil.
Isla se tourne vers sa compagne.
— Je t’ai entendue... ne t’en fais pas... trop. J’ai merdé moi aussi. J’ai été faire une petite balade dans la forêt à côté. Moi qui pensais ne pas aimer l’Afrique, tu m’as permis de commencer à la découvrir. Comme je suis de tout, curieuse... évidemment... poum !
— N’oublie pas, malgré tout, qu’ici, nous sommes des privilégiées aussi, ma douce. Et que c’est mon travail qui est source de tant de bonheur.
Isla tend la main, encore un peu faiblement.
— Je sais ce que je te dois.
Un sourire. Un clin d’œil. Un baiser sur le front. Une larme qui coule sur la joue de Selamawit.
— Tsss Tsss... c’est pas ce que je voulais dire, pardon. Mais, au lieu de dire des sottises, tu te rends compte qu’on ne s’est même pas demandé comment on allait appeler l’enfant ?
Isla, soudainement, comme prise en faute d’inhumanité, se relève sur ses coussins.
— Mais oui ! Ach, for feck’s sake ![4]
— J’avais pensé à Liyara.[5]
— Comment sais-tu que c’est une fille, Sela ?
— Tu sais bien que ma mère est Ayyaantu dubartii ![6]
Isla se remet dans les draps et fait semblant de bouder en souriant. Puis elle se relève en éclatant de rire... qui se communique à Selamawit.
Un médecin du collectif médical Mipaka Huria passe une tête par la porte.
— Dites, mesdames, un peu de silence...
Prises comme deux jeunes filles à faire une bêtise, elles rougissent.
— Pardon, doc... on va faire gaffe, dit Selamawit.
— Liyara, ça me plaît énormément, décidément, le swahili est une belle langue. Mais sinon, tu sais déjà quand tu pars alors ?
— Ce sera le 23, dans une semaine, juste avant la saison des pluies, qui serait beaucoup trop risquée pour un lancement.
— Je pourrai communiquer avec toi jusqu’à quand... ou où ?
Selamawit reprend tendrement la main d’Isla.
— Le plus longtemps possible, ma rousse. De toute façon, la vitesse lumière implique tellement de facteurs à prendre en compte, que même Sana aura besoin de temps pour tout calculer afin de ne pas traverser une planète, qui plus est ce ne sera qu’après Neptune.
— Oui, mais pour le reste ; je sais que tu m’en as parlé, mais ça me fait peur pour toi, ma chérie.
— Moi aussi. Mais j’ai justement rendez-vous avec le professeur Jorge Nöhr dans...
Elle fait appel à son Palais mental connecté[7] pour savoir l’heure qu’il est.
— ...une demi-heure. Il doit m’entretenir au sujet de la fin des travaux, de la mise en place de Sana dans le vaisseau et du champ de déflection gravitationnelle active et aussi.
— Ah oui... tu m’avais fait lire son article dans The Lancet à ce dernier sujet. Ça permet de faire dévier tout corps spatial qui n’est pas une planète... c’est ça ?
— Oui. Pour les planètes, y a aucun souci, on les connaît déjà toutes jusqu’à la planète Thāl’iir, ainsi que le calcul de leurs mouvements... mais bon, il faut vraiment que j’y aille.
— Bon rendez-vous, ma grande, avec ce cher chauve !


[1] James Miranda Stuart Barry, né Margaret Ann Bulkley (v. 1795-1865). Iel sert en Inde et au Cap, chargé des hôpitaux militaires à la fin de sa carrière. On peut lale considérer comme non-binaire.
[2] La Symbiogenèse est une méthode de conception développée à partir des années 2050, permettant à deux femmes de concevoir un enfant issu de leur double patrimoine génétique. Sans recours à un donneur, elle repose sur une recombinaison croisée de deux ovocytes, créant un embryon viable grâce à une technologie dite de fécondation éthique par recombinaison contrôlée. Légalisée progressivement dans plusieurs pays à partir de 2062, cette avancée a été saluée pour son respect des équilibres biologiques, émotionnels et égalitaires.
[3] Avec l’évolution du langage, l’expression purement anglophone “hug” a été supplantée par “Du moyo ?” (doumoyo) dans les années 2070. Le terme swahili veut dire “Un battement de cœur partagé ?” Il est devenu mondial.
[4] Équivalent approximatif en écossais de : “Bordel de zut !”
[5] Fusion de Liya (fidèle, éthiopien) et Ara (ancienne racine celtique signifiant “autel”.
[6] En langue oromo (très parlée en Éthiopie) : Ayyaantu (chamane) dubartii (femme).
[7] Le Palais mental connecté ne désigne pas un dispositif technologique, mais une capacité intérieure, mêlant mémoire active, intuition profonde et attention cultivée sur le réel. Il s’agit d’un espace mental personnel, structuré comme un sanctuaire intérieur, où la connexion au savoir ou à une présence se fait de manière spirituelle et consciente, non numérique.

(épisode IV le samedi 24 mai 2025)

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