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Billet de blog 23 août 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 6 épisode IV

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

Sixième partie
Mentf

IV
- Bestialité -


19 octobre 2097. Irlande,
Howth.
Depuis la tempête qui a balayé Dublin et tout le nord de l’Irlande fin septembre, la pluie tombe sans répit. D’anciens immeubles à Dublin sont tombés, le bruit, porté par les vents violents a secoué la communauté d’Howth.
José Ramón, ce midi d’octobre, paraît inquiet quand il croise la jeune Liyara s’occupant du jardin, comme le faisait sa mère.
— Bonjour Ly’, tu n’as rien entendu ?
Elle se relève et tend son oreille pour mieux écouter, durant quelques secondes.
— Non... rien, pourquoi ?
— Non, c'était cette nuit... il m’a semblé entendre des cliquetis venant de l’ancienne maison des O’Dálaigh.
— Seánán avait des mobiles qu’il laissait cliqueter au vent... ça doit être ça, José.
Il reste dubitatif en tournant la tête vers le cottage presque en ruine.
— Sans doute... j’espère que ce n’est rien pour que nous fêtions tranquillement ton vingtième anniversaire, demain.
Elle ouvre de grands yeux.
— J’avais complètement oublié...
Elle se remet au travail, pas plus intéressée que ça par cet “évènement” annuel.
Lui repart, sans être apparemment convaincu de l'hypothèse de Liyara.
*
Il fait nuit, le feu crépite dans la cheminée de Teach Éireann.
Comme toutes les nuits, il y a un roulement de surveillance ; et c’est Thiyya N’Tazult qui a ce rôle cette nuit-là.
Elle est en train de lire les sonnets de Shakespeare...
“O, that you were yourself ! but, love, you are
No longer yours than you yourself here live :
Against this coming end you should prepare,
And your sweet semblance to some other give.”[1]
Lorsque soudainement, elle perçoit un bruit de cliquetis malsains, arythmiques, rien d’habituel, comme un échange de phrases incompréhensibles.
Elle pose le livre.
Thiyya, qui a vécu dans les dunes du Souss-Massa... connaît les bruits, les frôlements de la nuit, mais elle ne s’est pas habituée à ceux d'Irlande...
Un griffement lent sur la porte finit par la décider. Elle se lève, hésite un instant, puis va réveiller José Ramón. Au second étage, elle ouvre doucement la porte de sa chambre, et au moment où elle le secoue, elle voit deux yeux la fixer de l’autre côté de la fenêtre. Des yeux sans âme, des yeux inexpressifs.
— José ! JOSÉ !
Il se réveille d’un coup.
— Qu’y a-t-il ?
Elle a toujours la tête tournée vers la fenêtre, d’où la créature a disparu.
— Nous sommes épiés, José... je crains le pire.
Il regarde dans la même direction.
— Raconte !
*
Tout le réseau souterrain de Teach Éireann est réveillé. La maison principale regroupe une poignée de défenseurs sur le qui-vive.
Des silhouettes inquiétantes se sont introduites dans le jardin. Seuls les bruits de griffes creusant la terre avec avidité rompent le silence.
José Ramón fait signe à Zhào Yǔliáng, le compagnon de la jeune Liyara, de se rapprocher. Il chuchote.
— Tiens, je te passe la batte de baseball, tu vas passer par derrière, moi par devant. 
José Ramón, son katana à la main, rejoint la cinquantaine de personnes rassemblées. Alors que Yǔliáng se dirige vers la porte arrière, José Ramón, avec des gestes précis et quelques chuchotements, organise le camp retranché avant d'aller vers la porte de devant. Il est accompagné par Liyara, armée d’un karambit à la lame bien effilée ainsi que d’une arbalète de poignet aux carreaux empoisonnés.

***

10 novembre 2097. Irlande,
Dans les ruines de Dublin.
La pluie, qui n’a cessé depuis octobre, s’est enfin tarie.
Un être courbé, qui ressemble physiquement à un homme, court de tous ses membres sur le pavé mouillé, sans doute pour échapper à un animal rendu à sa nature depuis l’effondrement de l’espèce humaine. Il est nu, laissant voir sa peau rose-verte. Il porte, comme une toge une sorte de vieux rideau en laine. Il court dans Temple Bar[2] vers une petite ruelle dont les maisons ont su résister aux épouvantables tempêtes de cette fin de siècle.
Une pancarte rectangulaire tristement tordue, au texte délavé sur fond vert bouteille, traîne encore au sol... “The Crown alley haunt”.
L’être se faufile dans une des caves en émettant des cliquetis avec sa bouche.
*
Au même instant, à Howth.
— Liy’, on a enfin fini de remettre la pompe en marche. Les chthoniens[3] ont sacrément foutu la merde le mois dernier. Qu’est-ce que ça donne pour le jardin ?
— On a fini de mettre en place les dissuasions. Tu vois, mise à part la porte qu’on a installée sur le côté de la maison, désormais pour rentrer dans le jardin depuis l’extérieur, on ne peut plus passer que par là.
— Intéressant... et ?
— Tiens, essaye !
Un peu étonné tout de même, José Ramón commence à sourire en coin.
— Okay.
Il pousse la porte et immédiatement, il se retrouve au centre d’un nuage de poussières malodorantes, tandis que des clochettes, dissimulées tout autour, tintent de bruits aigus.
Les mains sur les hanches, riant presque, Liyara regarde le pauvre José Ramón, couvert de cendres mélangées de jeune compost.
— Alors ?
Les yeux plissés, mi-fâché, mi-rieur, il s’époussette.
— Eh ben je vais prendre une douche !

***

Au crépuscule dans les environs de Crown alley.
Il y a des dizaines de chthoniens plus ou moins tordus, quelques-uns rose-vert encore vivaces, d'autres rose-bleu se traînant maladroitement en reptation. L'assemblée grondante agite des bras faméliques, dandinant de la tête, la bouche presque édentée laissant pendre une langue verdâtre.
L’un d’eux saute d’emblée sur la carcasse calcinée d’une ancienne voiture hybride.
Ses cliquetis infâmes sonnent comme des appels au meurtre... au carnage.


[1] Si vous pouviez du moins exister par vous-même, 
Mais l’on ne s’appartient qu’un instant ici-bas !
Trompez l’horrible mort qui s’avance à grands pas
En léguant à quelqu’un votre grâce suprême. (sonnet XIII)
[2] Quartier et rue principale qui porte le nom en référence à William Temple, le mot “Bar”, fait référence à “barrière” et non à un débit de boissons.
[3] Surnom des “Chthonivoros” (traduit du grec : “Mangeur des entrailles de la terre”).

(partie 6 épisode 5, mardi 26 août 2025)

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