PAS DE DESTIN,
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS
Troisième partie
Peloor
III
- Étonnement -
22 décembre 2551.
— Comment ça... “il y a un trou noir ?”
— Je viens de détecter une communication d’un de leurs scientifiques de haut niveau, un certain... traduit sous forme terrestre... 1mar74...
— Tiens ! Des identités numériques ?
— Oui Sela... mais ça pourrait s’écrire, si je me permets d’extrapoler bien sûr... El Mar Sa.
— Mais alors, cette “transmission” ?
— Je cite le message, “Alerte scientifique. Détection d’une anomalie gravitationnelle stable et puissante, sa trajectoire est convergente en direction de notre planète Peloor. L’analyse préliminaire rend compte d’un objet non référencé de nature compacte. La probabilité est à plus de 99,9 pour cent d’un trou noir errant. Sa vitesse estimée est de 1000 kilomètres par seconde, ainsi, son intersection gravitationnelle avec nous peut être prévue dans environ 120 000 ans. Étant donné notre technologie incapable de surmonter son arrivée, il est recommandé l’archivage prioritaire de notre culture, ainsi que l’observation continue et une modélisation à long terme.
— Mais Sana... on ne sera plus là dans cent-vingt mille ans.”
— Certes, mais en fait, selon les calculs que je faisais en te parlant… ce trou noir errant sera sur Kepler 20f quand nous devrions y être, selon le trajet que j’avais défini avant notre départ de Zawadiya.
Selamawit est perplexe.
— Mais on pourrait tout de même dévier notre route ?
— Non, le message Thāl’naï précisait que le passage par ce qu’iels appelaient “Ulbah”, soit la planète Kepler 20f, était un passage “obligé”.
Selamawit est de plus en plus perplexe.
— On ne m’en avait rien dit.
— Je sais, on en a parlé lors de ma réunion avec le conseil. Je pensais, peut-être à tort, devoir t’en parler au moment opportun, tu as déjà tant de choses à t’occuper, et n’oublie pas que tu n’as pas “mon cerveau”.
— Pardonne-moi ma méfiance Sana, en effet. Mais pourquoi alors les Thāl’naï ont-iels précisé cette obligation ?
— Il semblerait que le peuple Ulbahien soit une entité cristalline intelligente, mais que leur haine envers ce qu’ils appellent “Mm”, leur dieu, les pousserait à commettre un “syrrha”.
— C’est quoi ?
— L’équivalent, à l’échelle de l’univers, de notre “crime contre l’humanité”. Mais ça pourrait se traduire plutôt par “rupture de résonance”.
Enfin, le regard de Selamawit s’éclaircit.
— Je vois... une destruction d’équilibre structurel fondamental. Mais quel serait ce “syrrha”, et surtout comment arrêter un peuple aussi puissant qui peut s’attaquer ainsi aux principes mêmes de l’univers ?
— Le trou noir... selon les informations que nous avons eues, avant la rupture du pont ER avec les Thāl’naï ; ils altéreraient leur vecteur d’inertie planétaire en modifiant leur référentiel inertiel à l’échelle quantique-planétaire via des cristaux ultra-denses.
Là... Selamawit est scotchée.
— Mais c’est diiiingue !
— Je ne te le fais pas dire, en gros, ils s’apprêtent à glisser leur planète dans une inertie “tangente” à la gravité du trou noir. Selon le terme ulbahien, une “murmuronnance” collective qui fera “vibrer” l’espace-temps autour de la planète, la rendant glissante comme une goutte d’huile sur l’eau.
— Je comprends, donc il faut sauver le trou noir !
— C’est une obligation... universelle.
*
23 décembre 2551.
Le vaisseau navigue à un peu plus de dix kilomètres de hauteur de la planète, pour être indétectable, comme l’avait dit Sana.
— Ils sont assez extraordinaires ces loors, Sana.
Selamawit regarde sur son holopan de timon. Ce qu’elle voit est hallucinant pour elle. Une ville telle qu’il pouvait y en avoir au milieu du XIXe siècle, mais avec déjà une industrie très développée, comme un siècle plus tard. La fumée des usines se mélange presque harmonieusement dans le ciel bleu-vert sombre et le sol naturel paraît d’un beige rosé avec des reflets cristallins.
La ville en elle-même donne l’idée d’un Londres de 1860. À la différence que les façades sont polies, sombres mais traversées de “veines” lumineuses, un peu comme du granite noir mêlé à du quartz. Des tours trapues, flanquées de nombreuses tuyauteries “chantantes”, d’échafaudages fixes en bois fossilisé, et d’arches suspendues en métal résonant. Des passerelles couvertes joignent les immeubles et les tours. Il n’y a ni métro, ni transports en commun visibles.
Les lumières de la ville semblent être en connexion avec les émotions et les transmissions des loors.
À l’écran, apparaît l’un d’eux. Il ressemble ; de très loin ; à une tortue, la tête encastrée et protégée par sa carapace qui émet des signaux lumineux non séquentiels ; confirmant l’hypothèse de Sana d’une communication vibratoire lumineuse, nullement orale. Il est plutôt rond, se tient sur deux courtes jambes et mesure moins d’un mètre cinquante. Les gestes de ses bras, terminés par des mains à quatre doigts, paraissent d’une lenteur pensée.
— Zoom sur son visage, demande Selamawit.
Immédiatement, l’holopan se concentre sur le visage du loor. Ses yeux dans la partie supérieure de la carapace à l’extrémité haute de la tête sont protégés directement par le bord de celle-ci. Pas de nez, ni d’oreilles mais une petite bouche ronde, très petite, protégée par une sorte de moustache, non poilue comme chez l’espèce humaine, mais plutôt une rangée de filaments apparemment sensibles, et même peut-être tactiles ou sensoriels ; en effet, le loor est en train de déguster une sorte de grosse sphère translucide nervurée comme une améthyste, et Selamawit s’aperçoit que cette moustache semble indiquer une information spécifique à propos de cet aliment dont un liquide s’échappe en jets, à la manière d’une grosse tomate juteuse.
Observant le loor depuis déjà une bonne demi-heure, Selamawit est capable de comprendre l’extraordinaire capacité de sa carapace qui est vraiment étonnante. En effet, plus qu’une protection contre les radiations de leur naine rouge, mais aussi ; très certainement, à voir ses réactions ; un organe de l’ouïe, de l’olfaction, et de communication. La bouche ne servant, semble-t-il, qu’à l’unique absorption d’aliments.
Selamawit, qui s’était rapprochée de l’écran de l’holopan de timon pour voir de près cet habitant, se plaque contre le dossier de son fauteuil.
— Eh bé !
— Sela, apparemment nous avons un souci avec le champ de déflection gravitationnelle active.[1]
[1] cf. à la fin du chapitre 3 de la partie 1.
(partie 3 épisode 4, jeudi 26 juin 2025)