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Billet de blog 24 juillet 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 5 épisode II

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

Cinquième partie
Ulbah

II
– Déraison –


12 décembre 2086.
Saint-Pétersbourg,
Palais de Peterhof.
Le tsar Alexeï II est en train de prendre le thé dans son salon fumoir, lorsque, essoufflé, un membre du directoire des jeunesses alexeïouniki arrive en courant.
— Pardon Otets Mira[1], mais j’ai appris que Moscou s’était révolté et avait mis à bas votre statue de Vorobyovy Gory.
Alexeï manque de laisser tomber sa tasse.
— Comment ça, mon image grandiose de cent vingt mètres de haut ?
— Oui, Otets Mira.
— Mais pourquoi ?
— À travers vous, c’est la politique de répression sociale de votre premier ministre Leonid Reznikov que le peuple réprouve... pas votre saint pouvoir.
— Que diable ! Ils ont détruit le chef-d’œuvre de ma représentation. Que l’on gaze Moscou pour leur apprendre le respect !
— Le novitchok sur Moscou ?
— Pourquoi devrais-je me répéter ?

***

23 mars 2087.
Paris,
Palais de Vincennes.
Le dernier attentat revendiqué des “libéraux gauchistes” du charismatique et célèbre rhéteur de l’Assemblée nationale, Alban Latruche, ex-secrétaire général du NPSD[2], a détruit l’“Aile Emmanuel Macron” du Musée du Louvre[3].
Dans son bureau, le président Hubert de la Foi, élu en 2082[4], reçoit son ministre de la Défense républicaine et de la Sécurité, Georges Darmanin.
— Mon cher ami, que fait la police ? Il paraît que le virus est désormais aux portes de Neuilly. Des personnes fort influentes n’arrêtent pas de m’appeler sur mon 010 !
Avec l’air malicieux de sa jeunesse, le ministre en charge regarde le président.
— Fort heureusement, le bas peuple ne le connaît pas, si je peux me permettre.
— Certes, j’entends bien, mais il faudrait que vous vous attaquassiez à ce sujet...
— Oui, monsieur le président, dès que nous aurons un ministre de la Santé. Ça fait deux ans que la population attend sa nomination.
— Je sais, aucun candidat prêt à se sacrifier pour la nation. Le dernier en date, dois-je vous le rappeler, a été mis en pièces à coups d’outils médicaux par une horde d’infirmières et infirmiers lors de sa visite des nouveaux locaux du “Centre d’hébergement et de rétention sanitaire Agnès Buzin”.
— Oui, aussi, peut-être faudrait-il envisager de regrouper les compétences de cet ancien ministère avec les miennes ?
Hubert de la Foi est perplexe quelques instants.
— C’est cela la solution. Je vais ajouter à vos compétences le ministère de l’Éducation et celui du Plan décennal, pour faire bonne mesure.
Le jeune ministre, d’à peine vingt-trois ans, sourit d’aise, tel son aïeul.
— Que faisons-nous de ces personnes encore en charge, alors ?
— Ne vous inquiétez pas, la République a toujours su recaser ses serviteurs zélés. Vous me ferez donc des propositions pour contenir la propagation du virus Hadès hors segment nueilléens. Que cela soit contenu à Courbevoie, Puteaux et autres villes de moindre importance !

***

1er janvier 2088. Washington,
Bureau ovale.
Theodore R. Grant, président des USA, appelle son homologue mexicain, Pedro Lucas, avec qui il est en guerre depuis le 12 juin 2085 et l’attentat de New York du 16 mai de la même année, attribué faussement au Mexique.
— Bon, Garcia, tu vas capituler, sinon...
— ...
— Comment ça Lucas ?
— ...
— Je t’appelle comme je veux, bouffeur de haricots ![5]
— ...
— Quoi, ma mère ?... t’insultes ma mère !
Hors de lui, le président Grant ne s’aperçoit pas tout de suite que Pedro Lucas, le président mexicain, a raccroché.
*
Dans le bureau ovale, c’est l’effervescence, plusieurs conseillers sont là, ainsi que le président du comité des chefs d’état-major interarmées[6].
Sauf ce dernier, tous sont à chercher quelque chose dans la pièce la plus célèbre du monde.
— Mais où est cette putain de biscuit[7] de merde, bordel !
Le conseiller aux affaires sociales, à genoux, une main sur l’un des canapés du bureau, tourne plusieurs fois la tête entre le dessous du meuble et le visage rouge de colère de son patron.
— Monsieur le président, essayez de vous rappeler le moment où vous l’avez vue la dernière fois.
— Le 20 janvier 2085, le jour de mon investiture, imbécile !
— ‘Fectivement, répond le conseiller.
— Bon, faut que je le pulvérise, le Sanchez ! Trouvez-moi cette carte ou on la remplace.
— Euuuh, monsieur le président, la procédure de remplacement est prévue, mais demande du temps.
Toujours hors de lui, le président Grant sort du bureau par une des portes-fenêtres.
*
Quelques instants plus tard un militaire ouvre la même porte-vitrée du bureau ovale, l’air complètement effaré.
— Que s’est-il passé ? demande-t-il aux personnes affairées à rechercher la carte d’authentification.
— Quoi donc ? répond agacé le conseiller aux affaires sociales.
— Ben... le président est mort, une crise cardiaque... apparemment !


[1]  “Père du Monde”, dans le cas d’Alexeï II.
[2]  Nouveau Parti Socialiste Démocrate, créé en 2032 sur les ruines de l’ancien PS de 1971.
[3]  Construit durant son troisième mandat (2032-2037).
[4]  Avec les voix de 23% des électeurs inscrits, avec un score de 96,89%, face à Ingmar von Zemmour, arrière-petit-fils du polémiste du début du XXIe siècle.
[5]  “Beaner”, insulte méprisante caractéristique des racistes américains envers les mexicains, supposés manger trop de haricots.
[6]  Le militaire le plus haut gradé officiellement consulté (mais ne détenant aucun pouvoir de décision) dans le cadre d’un lancement nucléaire aux USA.
[7]  Surnom d’une carte d’authentification, surnommée “la biscuit”, que le président garde sur lui. Il est déjà arrivé à un président US de perdre cette carte-là ; Clinton vers l’an 2000. La chose a été rendue publique par général Hugh Shelton dans son livre “Without hesitation : the Odyssey of an american warrior” (St. Martin’s Press, New-York, 2011).

(partie 5 épisode 3, samedi 26 juillet 2025)

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