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Billet de blog 25 mars 2025

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“L'ombre de l'Écarlate” (épisode III) roman policier-fantastique

Un mystère familial en 1902 et en 1963. L'étrange, le surnaturel se composant dans un quotidien prolétaire.

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L'OMBRE DE L'ÉCARLATE (III)
- Le message -

Paris, 1902.
Le prêtre se rapproche de nouveau, comme s’il avait mal entendu. Il est de plus en plus inquiet.
— Comment ça, “pas que la voix” ?
— Oui mon père, une apparition aussi.
— Et de votre grand-mère ? soupire-t-il.
— Oui.
D’un air las, incrédule, il pose enfin la question.
— Et quel est ce message ?

***

Au petit matin avant l’aube même, la mère, Colette Jarot, née Grandjean, ouvre la porte de leur petit appartement de deux pièces. 
Elle est fatiguée, et ne s’aperçoit de rien. Elle ouvre machinalement la porte de l’autre pièce, qu’elle a laissée aux enfants. Elle regarde et ne remarque toujours rien. Elle referme la porte, pour s’apprêter à se mettre “au lit”. 
C’est un bien grand mot que celui-ci pour désigner ce qui lui en sert. Le vieux buffet au fond de la pièce principale est assez long pour elle et un vieux matelas gris de tapissier qu’elle va chercher dans le placard mural.
Elle le pose dessus.

***

Tenzin Dorje, ne s’attendant pas à la question que Madeleine vient de poser, la regarde de bas en haut, hésitant entre une folle ou simplement quelqu’un qui cherche “sa” vérité.
Elle reste stoïque, respectueuse et consciente de la nature de sa question.
Après quelques instants, gênants.
— Eh bien, il faut pour cela un grand nombre d’années d’études... 
Il laisse sa phrase en suspens. Elle se présente.
— ...Madeleine, Madeleine Lamorie.
— Je ne peux te dire que cela, Madeleine Lamorie. Ce type de voyage est réservé à des lamas qui ont médité longuement, très longuement.
— N’y a-t-il pas un autre moyen, Rinpoche ?
Il pose sa main droite sur son menton, jouant de ses lèvres avec son index, pensif en la regardant encore, droit dans les yeux, comme s’il sondait son âme profonde. Ses intentions.
Elle, reste muette, par respect et crainte d’une réponse négative.
— Reste là, je reviendrai.
Il fait demi-tour en silence, et les pas qu’il fait ne font aucun son sur les dalles de pierre.
*
Gustave reste silencieux durant quelques minutes, enfoncé dans son fauteuil, regardant le prêtre en se demandant s’il doit vraiment lui délivrer ce message étonnant et lourd de secrets enfouis.
Soudainement, il se penche en avant, se sert un autre whisky.
— Vous aussi, mon père ?
— Non Gustave, l’appelant pour la première fois par son prénom... d’abord le message.
— Eh bien voilà, je l’ai écrit, vous le lis, dit-il gravement en prenant un papier... “Je suis ta grand-mère, Madeleine. Je dois te dire que le grand-père de mon petit saligaud de communeux traitre de mari, m’a assassiné. Je ne peux encore quitter ce monde tant que la vérité ne sera pas sue... j’ai besoin de toi.”
— Comment ! Joséphine Jarot, votre arrière-grand-mère, assassinée par ce noble et respecté ancien soldat de l’Empereur, Baptiste Jarot, Député en 1830 et membre de l’Académie française !
— Il semblerait, si les esprits existent bien, mais vous, mon père, qui croyez en l’au-delà ?
— Certes, évidemment mais celui-ci n’autorise pas toutes les divagations qu’on a répandu ces dernières décennies.
— J’entends bien, mon père, mais je ne la crois pas folle.

***

Alors que Colette, réellement fatiguée d’une longue nuit à l’Hospice des Enfants-Assistés, se tourne pour prendre les draps dans le tiroir d’un autre meuble, elle s’aperçoit soudainement que sa fille, Madeleine, est prostrée par terre, recroquevillée sur elle-même, la tête enfouie entre ses genoux. Elle tremble de partout.
Sa mère effarée, s’accroupie d’abord, et doucement, à mi-voix elle lui parle.
— Madeleine, que se passe-t-il donc ?
Toutes deux restent ainsi, face à face, de longues minutes.
Puis la petite fille relève la tête et murmure.
— J’ai vu mamie...
De nouveau, le silence se réinstalle. Lourd. La “mamie” en question, Joséphine Jarot, étant morte treize ans avant la naissance de la petite.
Puis la maman la prend dans ses bras, la soulève et la serre contre elle.
— Ce n’est rien, Madie, tu as dû faire un mauvais rêve.
— Mais... maman...
Regardant le visage de sa mère, visiblement fatigué, elle se tait, alors que sa mère la remet dans le lit, à côté de son frère qui dort profondément.

***

Le curé, voyant le sérieux et l’inquiétude de Gustave, se radoucit et lui prend la main tandis que ce dernier tapotait nerveusement la table basse.
— Gustave, sais-tu pourquoi elle a attendu si longtemps pour te dire tout cela ?
— Oui, je le sais… À cause de moi. Je crois qu’elle a attendu que je sois remis sur pied.
— Comment cela ?
— Évidemment, vous ne savez pas… Au début, maman avait été promue, en 1920, au poste d’infirmière en chef à l'hôpital de Ville-Évrard, destiné aux aliénés indigents, situé à Neuilly-sur-Marne. Elle faisait le trajet tous les jours. Elle s’était donc enfin décidée à prendre “son” appartement… Oh, juste une pièce en réalité, avec ce qu’elle gagnait et par les temps qui couraient. Ainsi, je me suis retrouvé seul. Et c’est parce que je suis resté ici, livré à moi-même, que j’ai sombré au fur et à mesure dans la dépression, c'est à la mort de ma mère, en 36, que j'ai perdu les pédales et que j’ai été interné. Je ne suis sorti que depuis quelques mois… C’est seulement alors que ma petite sœur s’est enfin déliée de son “secret”.
*
(dialogue réel en anglais)
Madeleine, est là, depuis plus de deux heures, dans la cour du monastère. Elle attend, très patiente, comme toujours.
Enfin, Tenzin Dorje, revient vers elle. Il a l’air satisfait.
— Je vois, Madeleine Lamorie que tu sais être patiente, c’est une bonne chose.
— Merci, Rinpoche, dit-elle sur un ton neutre et toujours respectueux.
— Viens, je vais te montrer ta couche, nous nous reverrons demain, et nous méditerons et discuterons alors. Si tu veux, tu as les commodités là, à gauche, au fond du couloir. Tu peux aller aussi à la bibliothèque.
— Je ne lis ni le chinois, ni le tibétain.
Le lama sourit avec tendresse.
— Tu n’auras pas besoin du peuyi, ni du chinois. Par contre il y a bien des ouvrages en anglais et si je me souviens bien, un seul en français.
— Ah, lequel ? dit-elle surprise et tellement curieuse.
— Un ouvrage d’un certain Jean Jaurès... tu le connais ?
— Oh oui, c’est un grand homme dans mon...
À ce moment-là, la terre se met à trembler.

(suite au prochain épisode) 

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