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Billet de blog 28 août 2025

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Pas de destin, mais ce que nous faisons de nous... ou pas — partie 6 épisode VI

Le monde s'enfonce dans le chaos... mais un espoir existe, un collectif et une IAI.

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PAS DE DESTIN, 
MAIS CE QUE NOUS FAISONS DE NOUS... OU PAS

Sixième partie
Mentf

VI
– Silence –


10 novembre 2097. Irlande,
Howth.
La nuit est tombée. Depuis l’attaque des Chthoniens, un mois plus tôt, trois personnes veillent chaque nuit. Ce soir-là 10 novembre, un peu avant minuit, ce sont José Ramón, Zhào Yǔliáng et Liyara McIntyre-Bekele, qui sont pourvus d’armes blanches de leurs conceptions.
En train de jouer un rami à trois, iels sont tout de même attentifs.
— Un roi ! dit Liyara.
— Pffff... un sept, soupire José.
— Ah ! Un valet... c’est toi qui commences Liy’ ! sourit Yǔliáng.
Le cinq de cœur de la défausse ne l’intéresse pas. Elle prend une carte sur la pioche. Elle la mêle à ses treize premières cartes.
— Ne souris pas, Liy’ lui précise le vieux briscard de José Ramón.
— Je sais, avec maman, on jouait souvent quand on allait à Dublin... avant.
Elle prend un sept de son jeu qu’elle pose sur la défausse.
Yǔliáng a l’air bien embêté.
— Okay... je prends ce sept.
Il jette un deux de carreau.
Alors que la partie avait à peine commencé, des cliquetis inquiétants semblent se rapprocher.
Les trois posent leur jeu sur la table. Iels se regardent en silence.
José Ramón fait signe à Liyara de déclencher l’alarme sourde. Un simple taquet à tourner et celui-ci déclenche l’ouverture insonore de bouches d’aérations dans tout le complexe souterrain.
En quelques minutes, ils sont presque tous à l’intérieur de la très grande salle de séjour du rez-de-chaussée, habillés, armés de coupe-coupe, de sabres, d’épées ou de longs couteaux.
À les entendre, les cliquetis sont extrêmement nombreux, chacun est sur ses gardes.
Eoin Flanagan chuchote à l’oreille de José Ramón.
— D’après toi, on va s’en sortir ?
Le vieux Mexicain semble un peu dépassé... mais il essaye de rassurer par un mot d’humour.
— Dans la situation où on est, mieux vaut que le Mexicain soit dans Fort Alamo...
— Mais... si c’était eux les Mexicains, et nous les “Defenders”[1] ?
— En ce cas, le dispositif ultime est prêt... tu vois ce bouton ?
— Oui José.
— Une invention de mon ami Jorge et moi... une lumière transportant un agent pathogène foudroyant, uniquement destiné à notre race... humaine.
Eoin comprend alors, et toujours dans le silence qui précède l'attaque... sourit.
— Donc, les Chthoniens aus...
À ce moment même, une vitre et ses volets éclatent, laissant passer un groupe compact de cinq ou six premiers assaillants en fureur.
Aisling Flanagan, la compagne d’Eoin, porte le premier coup en tranchant la tête d’un de ceux-là.
Un moment de stupeur surprend les Chthoniens qui suivent la tête rouler sur le sol.
*
La dernière boucherie a débuté ainsi après minuit, ce 11 novembre. Un chaos s’est installé où les uns essayent de mordre les chairs des autres de leurs dents pourries ; et où les autres coupent, tranchent, éviscèrent, cognent. Le sang des agresseurs et des assiégés gicle sur les murs et les meubles, les mains armées se défendent avec une énergie désespérée.
*
Bien avant l’aube du 11, il ne reste plus que le “dernier carré” d’humains, Aisling et Eoin Flanagan, Lǐ Mùzhēn, Zhào Yǔliáng et Liyara McIntyre-Bekele. Iels sont dos à dos, entourés par plus de deux cents Chthoniens affamés, fous de l’odeur de sang.
Le corps déchiqueté de José Ramón gît sur le sol, quelques Chthoniens sont en train de lui arracher les membres et de les déchirer.
Liyara, plongeant ses yeux furieux dans ceux d’un Chthonien en face, donne la dernière consigne.
— José est mort, l’Hayl avec lui. Il nous reste le choix de l’honneur !... vous me suivez dans le junshi[2] ?
— Oui, Liy’ ! répond Mùzhēn le premier.
— Bien sûr ! suit Yǔliáng.
— Vas-y ma grande, crie Aisling.
— Souvenez-vous de Teach Éireann ! hurle Eoin.
Les Chthoniens qui allaient fondre sur leurs victimes pour les dévorer, sont pétrifiés.
Avec un dernier carreau de son arbalète de poignet, bien ajusté, Liyara tire sur un endroit de la pièce... sur le même bouton, à hauteur d’être humain, dont parlait José.
*
Howth, 4h52.
— Sororité, fraternité ! crie-t-elle.
Une explosion de lumière, d’une puissance titanesque éclaire la dernière nuit et s'étend sur le monde à 299 792 kilomètres par seconde.

***

Paris, 4h52 (GMT).
Dans les ruines de ce que fut l’arrogante basilique du Sacré-Cœur, le dôme défoncé par un Cessna perdu dans une des prodigieuses tempêtes, deux ans plus tôt, les oiseaux qui y ont élu domicile se taisent d’un coup, un éclair d’un bleu doux et inexorable s’étend sur la surface de la Terre.
Seuls quelques Chthoniens surpris dans leur sommeil s’éteignent en silence.

***

Copenhague. 5h52 (GMT).
Si la Petite Sirène d’Edvard Eriksen avait des yeux, elle contemplerait, comme le pigeon qui a élu domicile non loin, dans les combles du Kastellet à deux cents mètres de là. Un roucoulement stressé lui échappe, alors qu’ici et là des corps de Chthoniens ne bougent plus, tombés inanimés.

***

New York. 23h53 (GMT).
Un cerf court dans la 5e Avenue, ses sabots sourds résonnent sur l’asphalte éventré. Il passe entre les ruines encore fumantes d’un orgueilleux immeuble qui brûlait depuis une semaine et Central Park, jungle livrée désormais aux chats sauvages, aux chiens errants et autres animaux.
La lumière éclatante le stoppe en plein élan. Il regarde passer la lueur inoffensive pour lui, alors que tombent, des arbres alentours, quelques Chthoniens inertes.
La clarté s’éloigne, recouvrant enfin le globe entier avant de disparaître.

***

11 novembre 2097. Irlande.
Howth. 7h42 (GMT).
Le jardin, totalement retourné ; la maison aux vitres éclatées, les portes défoncées ; les taches rouges un peu partout, sont les seuls signes qu’il y ait eu de la vie, ici.
Les corps inertes d’un rose verdâtre ou bleuâtre, jonchent tout le périmètre, étendus en tas ou isolés. Dans la maison, ce sont plusieurs centaines qui s’entassent, avec ici et là les dépouilles d’être humains, dont certains à demi dévorés par des dents avides.
Dans le jardin, le soleil commence sa lente progression dans le ciel bleu et froid de cet hiver[3]. Exceptionnellement, il neige, d’une neige douce en petits flocons innocents.
Un insecte, timidement, s’approche d’un pot oublié là par Liyara, la veille. Un pot contenant un figuier nain posé sur la souche du jardin, celle qui servait de prise Écho-Terre, dans le jardin d’Isla et Liyara.
La mouche des champignons virevolte autour de la plante quelques instants, avant de se poser sur le terreau du pot, en battant des ailes. 
Le silence règne. Enfin.


[1] Ce nom vient de l’expression “The Defenders of the Alamo”.
[2] Dans la culture japonaise, c'est le suicide collectif “suivre le seigneur dans la mort”, ici, évidemment, il n’est pas question de “maître”... mais de “respect” et d’honneur.
[3] Si l’hiver astronomique commence “officiellement” le 21 décembre... météorologiquement, il commence avant. Cette année-là, à Howth, on peut dire qu’il a commencé dès le 9 novembre.

(partie 6 épisode 7, samedi 30 août 2025)

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