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Billet de blog 28 octobre 2025

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LA TROISIÈME ESPÈCE (chapitre 18 — Bali)

Alors que le monde est au bord de la guerre, en 1961, trois hommes à la poursuite d'un mythe...

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LA TROISIÈME ESPÈCE
Chapitre 18
BALI (Indonésie)

À cause de l'enlèvement du professeur Meier, Édouard Judel, accompagné de son assistant Henry “Smith”, a fait la connaissance d'Einar Hallqvist ici, dans ce petit port de Sanur, au sud de Bali, au lieu de Darwin comme c'était prévu. Les uns arrivant en moins de dix heures de Darwin et les autres en hydravion depuis Jakarta.
Édouard est un homme de petite taille, d'allure très moyenne... passe-partout. Les cheveux dégarnis et un visage, par contre, inoubliable, ne serait-ce qu’à cause de cette balafre qui lui barre la joue gauche, reçue lors d'une bagarre dans un débit de boissons juste après-guerre où il dit avoir croisé le champion de catch italien du nom de Lino Borrini, alias “la Fusée italienne”[1]. Quant à son assistant, qu'il présente sous le nom de “Smith”, c’est un grand gaillard, svelte, avec ses cheveux blonds bouclés qui encadrent un visage poupin à l'œil égrillard.
Étant arrivés avant, ils ont déjà enquêté sur la disparition du professeur Meier à Jakarta.
— Terima kasih, temanku, ini untukmu dan keluargamu[2], dit Judel à un pêcheur.
Le pêcheur s'en va, l'air heureux, en rangeant un billet dans sa poche.
Einar Hallqvist se tourne vers Édouard Judel.
— Vous aviez raison, monsieur Judel, vos premières recherches nous ont permis de nous voir plus tôt, ici, à Bali. Mais ce que je ne comprends pas, c'est comment vous en êtes arrivé à savoir que le malfaiteur est passé par ce quai-ci ?... Et de quoi parlait le pêcheur que nous venons de voir ?
— Tout d'abord, monsieur Hallqvist, j'ai développé un réseau afro-asiatique depuis la fin de la guerre, aussi, déjà à Darwin, où nous vous attendions, j'ai réussi, grâce à ce réseau, à obtenir certaines informations sur un groupe de fous furieux qui se font appeler The divine union. Quant à ce pêcheur, étant donné que je parle l'indonésien et bien d'autres langues du coin, toujours utiles... il m'a dit qu'un certain “Oliver” était accompagné, soi-disant, de son père malade. Voilà !... monsieur Hallqvist.
— Mon cher Judel, c'est extraordinaire.
— Quoi donc, monsieur Hallqvist ?
— La rapidité de vos investigations et les résultats obtenus !
— C'est mon boulot, monsieur Hallqvist.
— Certes, certes, mais je vous en prie, appelez-moi Einar. Depuis que vous nous avez rejoints ici, à Bali, vous ne cessez de me donner du “monsieur”.
— Bien, bien, mons... Einar. Donc, les informations que je viens d'avoir vont nous être fort utiles.
Einar, Samy et Théo écoutent Édouard Judel religieusement.
— C'est-à-dire ? ose Théo.
— Le pêcheur m'a dit qu’hier, 10 mars, cet Oliver lui a loué un bateau à moteur. Il portait un homme qu'il présentait donc comme son père, apparemment dans le coma.
— C’était Friedrich ? demande Théo sur un ton dramatique.
— Absolument, monsieur. Et le pêcheur m'a dit aussi, avec un petit sourire entendu, où il est allé avec son “papa”.
— Où ça ? interrogent en chœur les trois amis.
— Dans un îlot, un peu plus à l’est d’ici. Pulau Raijua, que les fondamentalistes protestants de The divine union ont renommé “île de la Rédemption”. Il les connaît bien mais en profite le plus possible.
— Bien, fort bien, mais il est déjà tard, l’hydravion ne peut pas nous servir, intervient Einar, très inquiet.
— C’est pour cela que nous partirons dès 6h30... réveil vers 5h45, ordonne Édouard.

Le Grumman Goose, le bel hydravion qu’a loué Einar à Jakarta, décolle des eaux de l’île de Bali. Il est 6h38, très exactement. Le soleil commence sa course dans l’hémisphère sud.

— Regardez ! Pulau Raijua, crie Mike Dvorak, le pilote.
Théo, Samy, Einar, Édouard Judel et son adjoint, Henry Smith, regardent médusés la plage où un bûcher a été installé. Deux personnes sont en train d’être attachées, chacune sur un poteau, dont le professeur Meier.
— Mike ! Atterris le plus rapidement possible, il faut faire cesser ce crime, crie Einar.

Alors que l’hydravion s’est enfin immobilisé, Édouard et Henry se sont précipités sur les flotteurs. Ils ont sorti l’artillerie et visent les trois personnes sur la plage.

— Sean ! Va égorger la sorcière ! crie le révérend, touché à l’épaule.
Sean se lève.
— Que la volonté du Seigneur soit faite, révérend !

— Henry, regarde, ce type se rapproche de la femme, là... tu peux le toucher ?
— Direct, mon commandant !

Sean se baisse, le couteau en avant pour obéir à l'ordre du révérend.
Une balle lui traverse le crâne de part en part. Il s’écroule, et dans ce mouvement, il se plante lui-même le couteau dans le ventre.

— Woooaaa ! Bravo Henry. Toujours aussi efficace.
— Tu vois, depuis le Vercors, j’ai pas perdu !

— Seaaaaan ! crie Oliver en voyant le cadavre de son ami.
Il se précipite pour achever la besogne, mais une balle transperce sa jambe droite, déchiquetant son fémur. Il s’écroule en gueulant de douleur.

— Bien Édouard, toi aussi... t’as pas perdu la main.
— Merci, venant de la part d’un tireur d’élite... ça me touche.
Henry explose de rire.
— C’est le cas de le dire, camarade !

Quelques minutes plus tard, les deux suppliciés sont détachés, et sur la plage, Oliver, entre ses pleurs et sa hargne, est pris en charge par Henry Smith, tandis que le révérend, lui, silencieux et les yeux fixés de haine sur Llewellyn Percy, est maîtrisé par Édouard Judel.
— Llewellyn Percy... je t’enverrai en enfer ! crie le révérend avant d’être assommé par Édouard Judel.
Einar se rapproche de la professeur.
— C’est donc vous, Llewellyn Percy ? dit-il, très civilement.
— Oui, pourquoi ?
— Je vous voyais...
— Plus jeune ? sourit-elle.
— J’avoue, madame.
— Ça n’est rien, j’ai l’habitude.
Théo s’approche de la professeur de philologie, après avoir trempé les joues du professeur de ses pleurs émus.
— Bonjour madame, il semblerait que je ne sois plus l’ancêtre de notre troupe ?
Pas encore habituée du ton abrupt de Théo et de son manque total de savoir-vivre, Llewellyn fronce les sourcils.
— La goujaterie, en tout cas, a toujours de beaux restes ! Si mes soixante-quinze ans vous navrent, j’en suis désolée.
Théo, pour la première fois, rougit.

[1] Plus connu sous le nom de Lino Ventura, champion de catch jusqu'au 31 mars 1950.
[2] Merci, mon ami, voilà pour toi et ta famille.

(chapitre 19, Jeudi 30 octobre 2025 “Darwin”)

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