IsabelleGhn (avatar)

IsabelleGhn

Éditrice éclectique transfem

Abonné·e de Mediapart

108 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 avril 2025

IsabelleGhn (avatar)

IsabelleGhn

Éditrice éclectique transfem

Abonné·e de Mediapart

“L'ombre de l'Écarlate” (épisode XIX) roman policier-fantastique

Un mystère familial en 1902 et en 1963. L'étrange, le surnaturel se composant dans un quotidien prolétaire.

IsabelleGhn (avatar)

IsabelleGhn

Éditrice éclectique transfem

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Prémbule de l'autrice :
Écrivant depuis tant d'années... je m'aperçois (enfin ! diraient certaines et certains, et fort évidemment)... que je dois faire plus attention quant à mes relectures ! Aussi, pour celleux qui ont déjà eu le courage (?) de me lire... ici... iels pourront s'apercevoir iels-mêmes que cette "écriture" a évoluée... oui... c'est désormais trois relectures (correctives) que je fais. J'espère que vous en serez satisfai-tes.
Merci
—Isabelle—
L’OMBRE DE L’ÉCARLATE (XIX)
— de Jérôme à Jérôme —

30 mai 1822. Paris.
Les deux comparses, dans leur chambre du petit hôtel sis au n°114 de la route d’Orléans, se sont mis à genoux.
Le regard “enluminé”[1] de son prochain sacrifice, Raffaello se signe et prie.
— San Pietro mi apra le porte... ho fatto la volontà del Papa[2], psalmodie presque Raffaello.
Quant à Federico, il se précipite à la fenêtre, sans plus craindre de prendre une balle tirée par l’un des policiers encerclant l’hôtel. Il hurle :
— Che bruci tutto, che resti Lui ![3]
Le léger bruit du déclencheur de l’horloge est le dernier son qu’entendent les deux spadassins envoyés par commandement du pape Pie VII.
Une explosion abominable fait trembler tous les immeubles alentour, tandis qu’une fumée âcre se répand sur la route d’Orléans, au-dessus des ruines du 114.
— Amédée, je n’ai pas l’impression qu’il va y avoir des survivants.
Le lieutenant Dieuleveult se tourne vers son subordonné, le brigadier Amédée Lamorie, qui semble frappé de stupeur.
— Qu’y a-t-il donc, brigadier ? Vous ne vous sentez pas bien ?
— Ma femme... ma femme était dans l’immeuble du 112, du mauvais côté.
— Votre femme ?
— Oui, mon lieutenant, je suis... j’étais propriétaire.
Dieuleveult tourne la tête vers ce qu’il reste d’un côté du 112, jouxtant l’hôtel.
— Mon vieux, toutes mes condoléances. Je vous dégage de votre service pour aujourd’hui... Vous avez des enfants ?
— Oui, un garçon, Hector. Il n’a qu’un an, mais heureusement, il est chez ma grand-mère, à Saint-Mandé.
— Eh bien, vous voilà père et mère, mon vieux.
— Bon, lieutenant, notre p’tit Jérôme est parti trop tôt pour Le Havre. Il doit déjà être en route pour Baltimore.
— C’est sûr. On le rappelle ?
Eugène-François Vidocq, chef de la Sûreté, en prend son parti.
— Oh, pas de courrier d’ordre de retour, après tout, les voyages forment la jeunesse, Clément.
*
12 août 1822.
Vidocq tient une lettre en mains.
— Bien, nous avons des nouvelles, à la fois de Rome et de Washington, Dieuleveult !
— Et alors ?
— À Rome, il semblerait, selon mon ami Amedeo Scarfacci, qu’il se trame quelque chose d’abominable. Il n’en sait pas plus, mais il a eu une information selon laquelle un Américain bien intégré au Vatican préparerait un sale coup.
— Palsambleu ! Et côté Washington ?
— Le petit s’instruit. Il semble attendre quelques renseignements.
Le lieutenant Dieuleveult sourit.
— Comme vous disiez... les voyages forment la jeunesse.
*
25 février 1823.
— Tenez, mon cher Dieuleveult, une lettre de notre jeune arpète.
Vidocq tend le papier à son adjoint, qui lit avec plaisir la missive.
— Alors comme ça...
— Eh oui. On pouvait s’y attendre.
— Jérôme Latue, marié à une Américaine ! Tudiou !
— La bonne nouvelle, c’est qu’il revient... avec femme.
— Nous en profiterons pour prendre des cours, chef ?
— De police ?
Clément Dieuleveult se met à rire.
— Y a peu de chance. La police parisienne est la meilleure du monde... Non, je voulais parler des cours d’anglais, chef.
— Bonne idée, c’est toujours utile d’apprendre des autres. Et d’ailleurs, c’est une partie de nos fonctions.
Dieuleveult, ayant devant lui un ancien bagnard devenu chef incontesté de la Sûreté ; par ses subordonnés en tout cas, esquisse un sourire.
— Sinon, des nouvelles de Rome ?
— Amedeo est sur la piste, mais il m’a fait savoir qu’il était lui-même, apparemment, sous surveillance.
*
13 juin 1823.
Le jeune futur père de famille, Jérôme Latue, à peine revenu des États-Unis, s’installe à son bureau.
Nommé enquêteur sur la ferme recommandation de Vidocq, il doit se remettre au travail, tandis que sa jeune femme, Rosalia Mancuso ; jeune Américaine d’origine sicilienne, installe leur petit appartement, rue du Transit, dans le Petit-Montrouge, juste à l’angle de la chaussée du Maine.
*
2 juillet 1823.
— Ça vous dirait d’aller à Rome, mon jeune ami ? dit le chef de la Sûreté, en arrivant dans le bureau de Jérôme Latue.
— Pour ?
— Mon camarade Amedeo a des soucis avec son enquête sur cet Américain, dont vous m’aviez vous-même informé qu’il s’apprêtait à commettre un grand crime.
— Ah oui... Donato Capovilla, le frère de Raffaello, qui s’est fait exploser route d’Orléans. Je crains que même Hughes ne puisse dissuader Donato, même en tant que son ami... et encore, faudrait-il qu’il le veuille.
— Je crains en effet que Lafontaine, avec ses antécédents babouvistes, soit peu porté sur la défense de la religion.
Jérôme garde pour lui le sourire que ça lui inspire. Vidocq a beau être un ancien bagnard, c’est aussi un homme établi, désormais.
— Bien, chef.
— Vous serez de retour avant la naissance de votre fils, je vous en fais la promesse. C’est pour quand, d’ailleurs ?
— Normalement, vers septembre, plus ou moins.
*
19 juillet 1823.
— Merde, merde, merde !
— Qu’y a-t-il, chef ? questionne, surpris, le lieutenant Dieuleveult.
— Le pape vient d’avoir un “accident”, survenu il y a treize jours. Je te lis la lettre de Jérôme, envoyée grâce à ton frère, par sémaphore :
“Dans la soirée du 6, Pie VII, qu’on avait laissé momentanément seul dans son bureau, voulut se lever de son fauteuil en s’appuyant sur sa table de travail. On avait fixé derrière lui un cordon au mur, qu’il agrippait pour se mettre debout ; mais sa main affaiblie atteignit mal le cordon, qui lui glissa des doigts. Perdant l’équilibre, le pape tomba lourdement sur le carrelage et se fractura le col du fémur gauche. Il est désormais alité. Votre ami Amedeo Scarfacci et moi soupçonnons fortement que ledit cordon fut enduit d’une graisse tirée de la cire d’abeille. Malheureusement, celui que nous suspections s’est donné la mort dans le Tibre.”
— Eh bé !
*
24 août 1823.
Dieuleveult est à son bureau, en train de lire, silencieux, Le Journal des Débats du jour.
“ROME — Mort de Pie VII
Sa Sainteté le pape Pie VII s’est éteinte à Rome, le 20 août, après un pontificat de plus de vingt-trois années. Cette disparition, quoique attendue depuis plusieurs semaines, survient dans un contexte délicat pour les équilibres européens, où la question spirituelle reste intimement liée aux dynamiques politiques.
L’illustre défunt, que l’on vit tour à tour captif et restaurateur de l’unité ecclésiastique, laisse derrière lui un trône de saint Pierre à nouveau fragile. Le conclave à venir retiendra, sans nul doute, l’attention des cours chrétiennes.
(La suite à la page 2)”
— Ah ben... on n’est pas dans la merde, dit-il à haute voix, soudainement.
Jérôme Latue arrive à cet instant-ci, une écharpe de portage dans les bras.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Le pape est mort !
— Ah... bah, c’est la vie, dit sans rire Jérôme. Mais je voulais te présenter... mon fils !
Délaissant son journal, son supérieur se lève.
— Ah ! Comment l’as-tu appelé ?
— Jérôme... Jérôme Latue junior !

[1] Non ! Ce n‘est pas une “coquille”, mais bien le mot... donc pas “illuminé”. NdA
[2] Saint Pierre, ouvre-moi les portes... j'ai accompli la volonté du Pape.
[3] Que tout brûle, qu’Il demeure !

(Suite au prochain épisode...)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.