LA TROISIÈME ESPÈCE
Chapitre 19
DARWIN
— Messieurs, nous allons atterrir à Darwin airport. Veuillez bien attacher votre ceinture et demeurer assis jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil, je vous remercie.
Quelques secousses et l’avion va se garer à l’emplacement de la TWA, pour le moment vide.
La porte de l’appareil est ouverte et deux policiers rentrent pour se diriger vers Einar Hallqvist, qui retient les deux prisonniers les mains liées dans le dos.
— Voilà messieurs, Oliver Nacht et le révérend John Smith. Nous leur avons prodigué les premiers soins. À vous de vous charger de la suite.
— Je veux appeler mon avocat, exige le révérend.
— Ça ne se finit pas comme ça, fils de Satan ! prophétise Oliver.
— Oui, oui, j’en parlerai à mon cheval ! se moque Einar.
Alors que tous marchent vers le lounge de l'aéroport, Llewellyn se tourne vers Einar.
— Mais au fait, vous ne m'avez pas encore montré cette “feuille de métal”.
— En effet, pardonnez-moi, mais je voulais d'abord tester vos connaissances durant notre vol jusqu'ici.
Llewellyn sourit quoiqu'un peu agacée qu'on ait pu douter de ses connaissances.
— Et je vous ai déçu alors ?
— Du tout, du tout.
— Alors, pourquoi ne pas me l'avoir déjà montré ?
Einar a l'air embêté, comme quelqu'un qui chercherait une porte de sortie.
— Vous avez raison, je vous le proposerai tout à l'heure.
— Très bien, mais peut-être n'arriverai-je pas à le déchiffrer.
— Eh bien, nous aurons eu le plaisir de vous sauver, de vous connaître et de vous raccompagner à Auckland.
Alors qu’on ravitaille l’avion, les sept personnes du petit groupe, Théo Dewez, Friedrich Meier, Samy Darge, Einar Hallqvist, Llewellyn Percy et les deux “gardes”, sont attablés en ce soir du 12 mars.
— Ce lounge est vraiment agréable mon cher sauveur, dit Llewellyn en souriant.
— J’aime bien ce genre d’ambiance, chère amie, mais trêve de bavardages, dites-moi, parce que ça m’intrigue depuis que j’ai entendu votre prénom... Llewellyn... n’est-ce pas masculin comme prénom ?
— Tout à fait, plutôt... mais sans doute mes origines y sont pour quelque chose.
Théo se penche en avant, dès qu’il sent qu’une histoire va être contée, il tend les oreilles.
— Puis-je me permettre humblement de vous demander alors quelles sont ces “origines” ?
— Bien sûr, monsieur Dewez, mes ancêtres, et c’est attesté, sont du...
Elle interrompt elle-même ce qu’elle dit afin de dramatiser la révélation.
— ...du Bounty !
Théo se recule avec sa chaise.
— Comment ça ? LE Bounty, le HMS Bounty ?
— Oui, mon aïeul était Ned Young, l’un des mutins ralliés à Fletcher Christian. Il s’était établi sur l’île de Pitcairn avec les autres.
Théo est visiblement bouleversé, comme s’il pouvait “toucher l’Histoire”.
— C’est extraordinaire.
— D’autant plus, monsieur Dewez, que le révérend qui a essayé de me faire flamber... s’appelle John... Smith ou on dira plutôt John Adams !
— Jo... Jo... John Adams ? bégaie Théo.
— Je vois que vos connaissances sont larges, monsieur, dit Llewellyn impressionnée. En effet, même si son ancêtre n’était pas aussi fou que lui, il a repris ce nom, “John Smith”, pour impressionner des esprits faibles... dont moi-même, je l’avoue humblement. Le révérend était mon mentor, mon “Conseiller spirituel”. C’est pour cela que j’ai été à Bali afin d'aller le voir, dès que j’ai su par Anli Soilih qu’il existait un document pareil, une feuille de métal d’un âge “pré-Historique”. C’est là que j’ai été mise au silence, tout d’abord bâillonnée et ensuite transportée sur cette île...
— Ah oui... celle qu’ils avaient renommée “Rédemption” ! s’écrie le professeur Meier.
— Absolument. J’ai eu le temps de les écouter pérorer sur leur prétendue prochaine victoire sur leur antéchrist. Ils avaient acheté cette île en 1947, ou plutôt ils l’ont “privatisée”. Le révérend a su “convaincre” les autorités indonésiennes de lui laisser le champ libre...
— Et moyennant rétribution, j’imagine, intervient Einar.
— Absolument, et de ce côté, le révérend avait une petite fortune, en 1925, il a acheté des parts de cette société américaine... IBM.
Samy intervient, un peu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
— Ah ! Mon banquier m’en a parlé... mais il m’a dit de me méfier... les ordinateurs, mon banquier n’y croit pas !
Gêné du silence qui suit, il se tait.
— Oui... c'est cela, fait Llewellyn, poliment. Donc il a fait une plus-value assez dingue en 1947 et a pu s’installer sur cette île, d'après ce que j'ai compris depuis mon enlèvement.
— Le fric, toujours le fric et la religion... les opiums des peuples, dit le professeur, l’air désabusé.
(chapitre 20, samedi octobre 2025 “Sydney”)