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Billet de blog 26 janv. 2019

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Pour l’Europe, n’opposons pas démocratie et solidarité

En décembre, Thomas Piketty publiait son Manifeste pour la démocratisation de l’Europe. Si Génération·s en rejoint le diagnostic et nombre des propositions, il n'a pas pu y souscrire en sa version actuelle. La députée européenne Isabelle Thomas s'en explique et apporte sa contribution au débat, pour tendre vers l'objectif commun : refondre une Europe démocratique, solidaire, écologique et sociale.

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Par un manifeste collectif publié début décembre, Thomas Piketty a lancé un nouvel appel solennel à la démocratisation de l’Europe.

A Génération·s, nous partageons depuis longtemps l’analyse d’un déficit démocratique de l’Union européenne. C’est lui qui alimente la défiance et la colère des peuples, et qui avait conduit nombre d’entre nous, dès 2005, à rejeter le projet de Constitution européenne. C’est ce même diagnostic qui a amené Benoit Hamon et Thomas Piketty à élaborer une stratégie commune lors de la dernière élection présidentielle, en proposant un « Traité de démocratisation de la gouvernance de la zone euro ».

Ensemble nous dénonçons ce monstre à deux têtes, celle des néolibéraux qui se servent de l’Europe pour déréguler, et celle des nationalistes qui en font un bouc émissaire. Ensemble, nous défendons l’alternative de sa refondation démocratique, sociale, écologique et fiscale. 

Pourtant, malgré nos nombreuses convergences, Génération·s n’a pas signé ce nouveau texte. Pourquoi ?

Pour la Démocratie, la justice fiscale et un vrai budget européen, mille fois oui !

Rapporteure à la Commission des budgets du Parlement européen, je constate au quotidien le gouffre qui sépare le budget de l’Union, ridiculement limité à 1% de la richesse, de tous les défis auxquels il est sensé répondre : climat, chômage des jeunes, réfugiés, Défense. Nous rejoignons donc sans réserve la proposition de T. Piketty de consacrer 4% de la richesse totale européenne au budget de l’Union. Ces 4% permettraient de transformer l’Europe en puissance publique véritablement apte à répondre aux urgences européennes.

Nous souscrivons également à l’idée d’un rééquilibrage des recettes, pour que l’augmentation du budget européen ne puise pas dans les budgets nationaux mais soit alimentée par davantage de ressources propres. C’est le sens des propositions de Génération·s en faveur d’un ISF européen, d’un impôt sur les multinationales intégrant la taxe robot et de l’aboutissement – enfin ! – d’une Taxe européenne sur les Transactions Financières. Ces impôts européens permettraient d’organiser la solidarité et le partage de la richesse.

Parce que la confiscation des choix économiques par quelques puissants et technocrates bafoue l’exigence démocratique, il est urgent de raviver les pouvoirs parlementaires. Ainsi la volonté de « sortir de l’ornière technocratique » fait-elle partie intégrante de l’ADN du Printemps européen, mouvement transnational que Génération·s a créé avec Yanis Varoufakis et d’autres mouvements de la gauche écologiste européenne.

Mais le diable se cache dans les détails... 

A la lecture du manifeste, une disposition centrale nous interpelle. Il propose de « limiter l’écart entre les dépenses reçues et les recettes versées par un pays à un seuil de 0,1% de son PIB ». Comment prétendre « établir une solidarité entre Européens » en refusant d’emblée l’idée du transfert de richesse d’un Etat à un autre ? Plafonner, a fortiori à un niveau aussi bas, la différence entre la contribution de l’Etat membre au budget européen et ce qu’il en reçoit via investissements et subventions met en péril toute redistribution des richesses au sein de l’Union. Il ne faudrait pas que ce plafonnement aboutisse à une résurgence du fameux « I want my money back » de Mme Thatcher. L’égalité exige non seulement une redistribution entre les personnes mais aussi entre les territoires.

Dans un marché unique, l’un des objectifs est de combler les écarts de niveau de vie, de développement et d’infrastructures afin d’éviter toute forme de dumping, voire de crise démographique. La Grèce en a fait l’amère expérience avec le départ massif de ses jeunes à l’étranger. Sans ambitions de convergence et sans transferts pour harmoniser à la hausse les niveaux de vie, on entérine une concurrence fratricide et moins-disante entre travailleurs et citoyens.

Appliquons la proposition à la réalité économique et budgétaire actuelle à travers un exemple concret : l’Allemagne, pays le plus riche de l’Union, à l’excédent budgétaire jalousé. Pourquoi n’apporterait-elle pas sa juste contribution au pot commun ? Un seuil de 0,1% aurait pour effet de réduire sa participation réelle au budget de l’Union : 3,4 milliards d’euros par an maximum, pour une richesse allemande totale de 3.416 milliards ! Et ce quelle que soit la taille du budget de l’Union et quels que soient les transferts de compétences nationales à l’échelon européen, comme la Défense ou les frontières. Cette conception budgétaire très « nationale » pourrait limiter l’ambition redistributive et égalitaire de l’Europe.

Démocratisation de l’Union européenne ou de la zone euro ? 

Le caractère évolutif et incertain du champ d’application du Traité de démocratisation de l’Europe invite également au débat. En 2017, nous avions travaillé en commun sur la démocratisation de la gouvernance de la zone euro, exigence rendue indispensable au regard de la gestion autoritaire de la crise grecque par une Troïka non élue, de l’arbitraire des mesures d’austérité, du manque de contrôle démocratique monétaire. Désormais, il semble que la version révisée du Traité de démocratisation de l’Europe s’adresse « aux pays qui le souhaitent », sans que soit précisé s’il est ouvert à toute l’Union européenne ou à la seule Eurozone. Cela pourra être éclairci.

Quoiqu’il en soit, il faut s’interroger sur les conséquences d’une fiscalité différenciée dans un marché unique. La coopération renforcée peut parfois être bénéfique et entrainer progressivement l’ensemble des pays, comme la création du Procureur général européen. Toutefois, dans le cas de la fiscalité, tout groupe d’Etats membres, alliés autour d’une fiscalité ambitieuse, risque d’aggraver contre son gré la concurrence fiscale, attisée par les Etats qui n’y participent pas. Ainsi s’enclenche le cercle vicieux de la baisse des recettes publiques, celui-là même qui bride les capacités de redistribution. C’est toute l’Union qu’il faut entrainer. Et là nous rejoignons Thomas Piketty : la première modification des traités, c’est la suppression la règle de l’unanimité sur les questions fiscales. 

Le Parlement européen, assemblée légitime sur laquelle s’appuyer

Ultime point de discussion : la nouvelle Assemblée démocratique composée à 80% de députés issus des parlements nationaux. L’argument selon lequel ils seraient seuls « légitimes pour engager l’ensemble des citoyens européens sur la voie d’un nouveau pacte social et fiscal » fait l’impasse sur l’existence d’une assemblée elle aussi légitime : le Parlement européen, élu au suffrage universel direct depuis 1979, co-législateur depuis l’application du Traité de Lisbonne en 2011, et dont les pouvoirs se renforcent sans cesse au gré de la pratique parlementaire transnationale. D'ailleurs, grâce à cette vision transnationale, n'a-t-il pas déjà voté la TTF et l'assiette harmonisée des multinationales, projets bloqués au Conseil ?

On peut s’interroger sur la superposition d’une nouvelle assemblée dans un millefeuille institutionnel, qui risquerait d’apparaître bien indigeste pour les citoyens. Sur ce point, comme le formule Thomas Piketty, une « ample discussion » est nécessaire. Ne serait-il pas plus simple de proposer une Commission Paritaire européenne, réunissant pour moitié des parlementaires européens et nationaux pour traiter les questions fiscales et procéder aux harmonisations qui s’imposent ?

Le débat lancé par Thomas Piketty et ses cosignataires est bienvenu, comme le caractère ouvert et collaboratif de leur démarche. Par sa contribution, Génération·s entend poursuivre la réflexion pour tendre vers notre objectif commun : celui d’une Europe démocratique, solidaire, écologique et sociale, reconnaissant enfin aux citoyens leur juste place dans les décisions.

Isabelle Thomas, députée européenne et responsable du Pôle Europe de Génération·s

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