Nous voilà pour la 2ème série d’articles sur une Révolution historique, aujourd ‘hui et pour les 2 prochaines semaines nous nous attaquons à la Révolution Allemande :
Contexte
La guerre et la vague révolutionnaire européenne. Avec la Première guerre mondiale, l'Europe connut un des plus grands carnages de son histoire, et l'impact politique fut immense. D'abord en 1914, lorsque la social-démocratie trahit ses engagements internationalistes, chaque parti de l'Internationale ouvrière soutenant son État contre les autres (à de rares exceptions près).Mais alors que le déferlement de chauvinisme avait semblé faire reculer brusquement la conscience de classe, les ravages de la guerre provoquent rapidement une radicalisation des masses, dans un premier temps captée par les socialistes révolutionnaires (mais plus tard, de plus en plus, le fascisme montant). La colère monte contre les gouvernements autoritaires (qui censurent, répriment les grèves et les déserteurs...) et contre les profiteurs de guerre (comme le groupe Krupp).Dès février 1917, la ruine sociale et économique causée en Russie provoque un profond processus révolutionnaire qui fait tomber l'Ancien régime, et qui se radicalise jusqu'à une deuxième révolution en Octobre, la première tentative de révolution socialiste de l'Histoire. La Russie se retire alors de la guerre. Partout en Europe, des conflits similaires existent, et la minorité communiste naissante veut transformer la guerre impérialiste en révolution. Les espoirs des révolutionnaires se tournent en particulier vers l'Allemagne, puissance industrielle majeure qui pourrait s'intégrer à la révolution soviétique et y apporter son avance technologique, sans quoi la Russie isolée serait en grave danger. Les bolchéviks russes étaient alors convaincus de l'urgente nécessité de la révolution mondiale :"La vérité absolue, c'est qu'à moins d'une révolution allemande, nous sommes perdus.« Lénine, mars 1918 » Cet espoir semblait à portée vu les soubresauts déjà présents en 1917, et la révolution allemande de 1918 ressemble par bien des aspects à une révolution de Février 1917 ayant évolué différemment.
La situation politique en Allemagne
En 1918, il n'y a pas de parti communiste en Allemagne. L'aile gauche du Parti social-démocrate (SPD), comprenant les révolutionnaires, exclue en 1916, s'est regroupée dans l'USPD (« social-démocrates indépendants »), et considère qu'il faut attendre du mouvement montant de la classe ouvrière une régénération de la social-démocratie. Sur le plan international, le Parti bolchévik a fait partie des rares à s'être opposés à la guerre, et à avoir préparé dans les années précédentes une délimitation avec les réformistes. Grâce à l'autorité morale qu'il acquiert ensuite du fait de la Révolution d'Octobre, il est le leader du courant révolutionnaire du socialisme, qui sera baptisé communiste. La toute nouvelle Internationale communiste (fondée en 1919) va alors se fixer comme priorité d'étendre la révolution à l'Europe occidentale. En particulier, pendant 5 ans, elle va travailler à reconstruire un parti ouvrier révolutionnaire en Allemagne.
Révolution de 1918-1919
Novembre 1918 : révolution et dualité de pouvoir
L'éruption révolutionnaire spontanée du prolétariat allemand se produit en novembre 1918. Le 6 novembre, les marins basés à Kiel refusent d'aller à un nouveau massacre décidé par l'état-major, et envoient des émissaires dans toute l'Allemagne pour appeler à leur secours la classe ouvrière. Les jours suivants, l’Allemagne se couvre de conseils d’ouvriers et de soldats qui commencent à se substituer aux organismes de l’État monarchique en crise. Le 9 novembre, la révolution atteint Berlin et le Kaiser s'enfuit sans combattre. Tous les socialistes, y compris la social-démocratie majoritaire, salue la "révolution socialiste" et le 11 novembre, l’état-major allemand doit signer l’armistice.
Mais concrètement, c’est une façade rouge qui a été jetée sur un appareil d’État intact, celui des bourgeois prussiens et de leur état major. Une direction de 6 sociaux-démocrates (3 SPD et 3 USPD) baptisés "commissaires du peuple" se met en place, au dessus des ministères maintenus tels quels. Ce gouvernement proclame dès le 12 novembre des mesures importantes : instauration (formelle) des libertés démocratiques élémentaires, début de législation du travail (promesse de la journée de huit heures, conventions collectives, allocations chômage...), que le patronat entérine dès le 15 novembre en signant un accord avec les syndicats sur ces points. La bourgeoisie a conscience qu'elle risque de tout perdre et est prête à beaucoup de concessions.
Il y a situation de double pouvoir avec un pouvoir ouvrier embryonnaire, face à un État bourgeois fragilisé. Mais l’existence des conseils en soi ne suffit pas. L'appareil social-démocrate tenu par des chefs bourgeois ou embourgeoisés a la main sur les conseils. Si des militants sincères et/ou révolutionnaires sont présents à la base, plus on s'élève dans les organes de délégation, plus le SPD est hégémonique. Celui-ci piétine d’ailleurs sans remords la démocratie ouvrière, imposant des représentations "paritaires" quand elle est ultra minoritaire.
Le gouvernement provisoire convoque des élections à une Assemblée Constituante pour le 16 février 1919. Les conseils d’ouvriers et de soldats doivent, eux, tenir leur congrès à Berlin le 16 décembre 1918. Et c'est exactement dans ces termes, « Assemblée nationale ou gouvernement des conseils » qu'est formulé le deuxième point de l'ordre du jour de ce congrès.Mais les dirigeants SPD mettent tout leur poids pour la première solution, et pour ravaler les conseils au rang d’auxiliaires consultatifs. Au nom du respect de la « démocratie », c'est-à-dire la démocratie bourgeoise, ou au nom du fait que « Les masses ne sont pas mûres ». Au congrès des Conseils, les quatre cinquièmes des délégués sont contrôlés par le SPD, contre 100 à l'USPD (et parmi eux une moitié pour l’aile gauche des délégués révolutionnaires, une dizaine de spartakistes).
Et malgré les arguments marxistes inlassablement avancés par Rosa Luxemburg, c'est le poids du SPD qui tranchera... pour la voie de l'État (bourgeois) pour construire le socialisme...La direction du SPD doit concéder aux délégués des mesures pour révolutionner l'armée (abolition des grades, élection des officiers par les conseils...), mais le pouvoir chargé d'appliquer ces mesures reste un pouvoir bourgeois protégé par le SPD. Le Congrès avance les élections à la constituante au 19 janvier, et donne les pleins pouvoir au gouvernement Ebert-Scheidemann.Les spartakistes s'appuient sur les ouvriers radicaux et les marins qui reviennent du front, dirigeant notamment la grande manifestation du 25 décembre (« Noël sanglant ») qui se bat avec des éléments de l'armée fidèles au gouvernement. Les spartakistes quittent l'USPD et fondent le Parti communiste d'Allemagne (KPD) lors d'un congrès du 28 décembre 1918 au 1er janvier 1919**.**
Janvier 1919 : l'insurrection spartakiste
Après le congrès des conseils, la réaction relève la tête. Étant donné que la chaîne de commandement de l'armée est disloquée, le SPD va s'appuyer des éléments proto-fascistes. Le social-démocrate Noske, qui admettait "je hais la révolution comme la peste", se met en lien et soutient discrètement les Corps Francs, des groupes paramilitairesd'extrême-droite issus eux-aussi de la débandade de l'armée. La situation très tendue explose à Berlin. Le préfet Emil Eichhorn (lié à la gauche de l'USPD) a été porté à son poste par la Révolution et jouit de la confiance des masses berlinoises. Il avait refusé lors du « Noël sanglant » (23-25 décembre) de participer à la répression des marins qui s'étaient mis en grève. Le SPD ne le considérait donc pas comme fiable, et décide de le révoquer le 4 janvier, via le gouvernement (Conseil des commissaires du peuple) où il a tous les postes.Un mouvement de protestation démarre alors, une grève générale et des manifestations de masse ont lieu pendant deux jours dans la capitale. Des barricades sont montées et des sièges de journaux occupés, dont le Vorwärts, organe officiel du SPD, qui publiait des articles hostiles aux « spartakistes sanglants et dictatoriaux » depuis le début du mois de septembre. Les meneurs de l'USPD et du KPD décident rapidement de soutenir la révolte. Ils appellent à la grève générale à Berlin pour le 7 janvier. Mais le comité d'action révolutionnaire qui se forme alors est très divisé, y compris au sein du KPD. Luxemburg est pour se limiter à la revendication du maintien de Eichhorn, Liebkecht est pour le renversement du gouvernement. Les discussions s'éternisent et les masses commencent à se démobiliser. Quand Liebknecht et d'autres leaders ouvriers proclament un "gouvernement révolutionnaire provisoire" à Berlin (8 janvier), le rapport de force est défavorable. Les Corps Francs sont lâchés dans tout le pays contre les ouvriers révolutionnaires (des milliers de morts), et ces derniers, sans coordination, sont vaincus. C'est la Semaine sanglante (6-13 janvier). Les conseils ouvriers issus de la révolution de novembre sont liquidés. Liebknecht et Luxemburg sont capturés par les Freikorps et assassinés le 15 janvier.Durant tout le printemps, ce qui s’est passé à Berlin va se répéter dans toute l’Allemagne, les conseils ouvriers résistant plus ou moins vigoureusement. En Bavière, en avril, les sociaux-démocrates proclament une "République des conseils", ensuite dirigée par les communistes, deux semaines durant, avant que la répression particulièrement sauvage fasse de la Bavière le bastion de la réaction en Allemagne.
A Mardi prochain pour le 2nd article, qui rentrera en profondeur sur le développement de cette révolution et la fin tragique de celle-ci…