Oui, les Ehpad sont un scandale humain et financier ! L'ARS en tête, qui détermine le nombre minimum de soignantes.
Oui, c'est connu comme le loup blanc ; pire, il est acquis dans le langage courant que ce sont des institutions maltraitantes, donc admis par le plus grand nombre.
Voici mon témoignage personnel, sous un angle peut-être un peu différent, celui d'une infirmière retraitée soucieuse des autres, des plus fragiles, ceux dont la voix ne porte pas ou plus...
Je vais tenter de parler d'une simple expérience, la mienne, sans évoquer celles d'autres collègues, dans d'autres structures... mais, ne perdez pas de vue que c'est vrai partout, quel que soit le groupe !
Je vais essayer d'être concise, croyez-moi la tâche n'est pas aisée.
Je vais me limiter à parler tout simplement de la vie, la nuit dans un Ephad; de vous parler de ces résidentes oubliées qui s'oublient elles-mêmes déjà ; je vais vous parler du job qui est celui des soignantes de nuit.
Je vais féminiser à dessein les termes de soignantes et de résidentes, car c'est une autre réalité pas si anodine que cela.
Dans les Ephad, peu d'hommes, le cuisinier, l'homme d'entretien et oh, surprise, un directeur, presque tout le temps... Des médecins aussi, qui passent dans la journée si besoin, en avoir un à demeure serait du luxe, il ne faut pas abuser non plus, on a affaire à des résidents malades tout de même ! Que diable allez-vous chercher !?... Quelques pensionnaires aussi bien sûr, peu nombreux en proportion mais tout aussi paumés que ces dames.
J'ai travaillé plus de 6 ans dans une petite maison de retraite rurale, il y a longtemps, privée également mais du moins à l'époque en tout cas (même si peu rémunérateur pour les soignantes), plutôt cosy pour nos résidentes.
J'ai démissionné en 2004 et je n'ai pas été la seule de l'équipe, parce qu'un directeur nouvellement nommé a commencé très vite à nous rendre la vie impossible, à nous toutes.
Dans un premier temps, il a volontairement et méthodiquement fait exploser l'équipe que nous formions, au grand complet, IDE, AS, ASH.
J'aurais dû comprendre que ce n'était pas dû à l'acte isolé d'un dérangé, comme je l'ai pensé, avant de claquer la porte ! Que c'était déjà le début de la fin d'une prise en charge pas trop nulle de nos très chères aînées.
Car, ce que je vais vous raconter ne concerne pas cet établissement.
En 2012, après avoir travaillé auprès d'autres publics, j'ai eu de nouveau envie de m'occuper de personnes âgées, avec courage et détermination, avec une candeur qui frôle l'imbécilité, je vous l'accorde. J'ai donc postulé dans un Ehpad de mon secteur, qui ouvrait ses portes en fin d'année, flambant neuf, nos premières réunions ont eu lieu dans des locaux vides, le moins cher sur le marché, enfin c'est toujours au-dessus des revenus moyens des Français, mais bon, il existe des aides publiques diverses et là n'est pas le sujet; un directeur très exigeant sur nos qualités professionnelles pouvant coller à l'exercice de la fonction de soignante auprès du public accueilli, rien d'anormal, plutôt encourageant même...
A l'origine de cet Ehpad, la fondation caisse d'épargne ! Et, oui, une banque ! Vous ne rêvez pas ! Les banquiers ne donnent généralement pas dans l'humanitaire, ça sentait donc quand-même déjà un peu le roussi, si vous voulez mon avis !!!
Qu'à cela ne tienne !
Je désirais un poste de nuit mais il n'y a pas d'infirmière la nuit dans les Ephad, je le savais et optais délibérément pour un poste d'aide-soignante (la fin de la première année de nos 3 ans d'études est validé comme diplôme d'aide-soignante), pratique pour eux mais pas illégal et à ma demande. Mon mémoire de fin d'études traitait du " soin toilette ", je n'ai pas de problème avec les soins de nursing, particulièrement essentiels dans ce secteur. Ma jeune collègue n'avait pas fait l'école d'aide-soignante mais elle était douce, compétente, efficace et courageuse.
Attention les yeux ! Nous étions 2, de nuit, pour 82 résidentes, sur 3 étages !
Qui a imaginé que les personnes âgées dormaient comme des bébés ? L'ARS, évidemment ! Couverte par les ministres de la santé d'hier et d'aujourd'hui.
Pour calmer tout le monde, on nous fait distribuer des somnifères, on essaie d'imposer le sommeil à des personnes qui ne le trouvent plus et c'est un loupé une fois sur deux !
Ce qui justifie le " placement " (je n'aime pas ce mot, mais il est tellement clairement indiqué, hélas ! A tel point que nous n'en avons pas d'autres) des personnes âgées dépendantes, c'est l'impossibilité de les surveiller H 24 à domicile. Les aidants familiaux, conjoints ou enfants, ne peuvent faire autrement que de passer le relais à des professionnelles dans ce type de structure, quand l'organisation du maintien à domicile a atteint ses limites.
Tout le monde connaît de près ou de loin, la fameuse histoire de la mamie que l'on retrouve en pleine nuit, en pyjama, perdue dans son village ou dans son quartier. On s'en amuse et on en a le droit, je suis moi-même redoutable sur le sujet (et pour cause), vous n'imaginez même pas !
Mais, je vais vous décrire d'autres versants qui calmeront peut-être votre joie car ce n'est là, que le début des ennuis !
Il y avait, (il y a toujours dans ces endroits), un étage dédié aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer mais ce que l'on sait moins c'est que les autres étages sont peuplés de personnes désorientées, ou touchées par telle ou telle autre démence, parfois sévère, toujours compliquée...
Ah, ça, elles sont rigolotes quelques-fois les mamies ! Elles savent mettre le dawa dans les services, c'est le cirque à tous les étages !
Le plus amusant étant que certaines se retrouvent dans un lit qui n'est pas le leur et que nous sommes alertées par celles qui pleurent devant la porte de leur chambre parce qu'elles n'ont pas accès à leur propre lit, occupée par une autre !
Vous me suivez ?
Ce n'est rien ça, c'est bon enfant, nous pouvons gérer la situation !
Il y a celles qui déambulent en silence, à qui nous proposons régulièrement de les accompagner jusqu'à leur chambre pour qu'elles se reposent un peu, parfois elles acceptent, souvent elles se relèvent à peine a-t-on le dos tourné...
Et, elles en ont le droit, nous sommes là pour elles aussi ! Mais, bonjour la surveillance sur 3 étages, à deux !
Il y a celles qui nous poursuivent dans les longs couloirs en nous insultant, en nous crachant dessus parfois ou tentant de nous balancer à la tête des objets divers, pouvant aller du plat bassin à une chaise pour les plus énervées, les plus rapides aussi (et ça, c'est pas gagné) et surtout les plus costauds.
Là encore, nous apprenons à gérer les crises, la maladie mentale ne nous fait pas peur, à nous les soignantes...ici ou ailleurs.
La distribution des traitements du soir est toute aussi folklorique, on assiste à de joyeux jetés de comprimés que l'on rattrape au vol avec un peu de chance....ou pas.
Il faut écouter, entendre, comprendre et adapter notre langage au leur ; nous devons rassurer, consoler, atténuer les angoisses inhérentes à ces pathologies et dont on sait qu'elles se ravivent à la nuit tombée...
Nous devons nous répéter 20 ou 100 ou 1000 fois pour apporter des réponses à leurs propos répétés 20 ou 100 ou 1000 fois..
Nous savons y faire, nous aimons notre métier mais nous avons besoin de temps ! Deux soignantes par étage ne serait pas du luxe pour le bien-être de toutes ces personnes devenues si fragiles.
Je vais poursuivre en devenant moins politiquement correcte ! Pardon d'avance mesdames les patientes déjantées, je fais ça aussi pour vous, même si par respect pour vous et pour protéger vos familles, on se tait trop souvent sur certains aspects de votre maladie.
Mais, au fond, qui est véritablement indécent dans l'histoire ?
Il a celles, nombreuses, qui font leurs besoins dans des couches et celles qui font leurs besoins après les avoir retirées, en étalant parfois des excréments sur les murs de la chambre, dans le lit, sur elles, partout....J'avoue que c'est plus facile si ce ne sont pas des selles diarrhéiques...mince consolation. Alors, on s'attelle au grand ménage, on ne sait par quoi commencer pendant un instant, puis, très vite, même si c'est à une heure de la fin de notre service, l'une s'occupe du local et du matériel pendant que l'autre donne une douche à la mamie barbouillée et ensemble nous refaisons un lit tout propre qui ne le restera peut-être pas longtemps...
Et, oui, on nous demande l'air de rien de justifier le nombre de couches utilisées...dire que nous sommes en colère est un euphémisme !!!
Nous savons également faire des accompagnements de fin de vie, car d'une manière ou d'une autre cela se termine ainsi...mais nous devons y renoncer, par manque de temps et parce que nous ne sommes que 2 !
Et, oui, on nous demande des comptes sur le pourquoi du comment du décès survenu, pour faire semblant de s'intéresser, sûrement...Outre le fait que l'on ne peut pas toujours prévoir l'instant T... que répondre à part, bin, en fait, nous sommes dans un établissement qui reçoit des personnes dont la moyenne d'âge est 85 ans et pas en super forme, si vous voyez ce que je veux dire !? Allez vous faire f.....!
Comment être présentes au bon moment, dans la bonne chambre, au bon étage !?
Alors, distribuer généreusement des petits bracelets électroniques reliés à nos bippers qui ne s'arrêtent de sonner qu'au moment où l'on désactive au niveau du bracelet, moi, je veux bien, mais comment le dire poliment ?!
Sérieux, on sait que les patients lambdas appuient souvent sur la sonnette; les personnes ayant des troubles cognitifs le font encore plus souvent, ne se rappellent pas l'avoir fait, encore moins pourquoi et sont étonnées de nous voir débouler dans leur chambre !!!
Ce ne sont que quelques exemples, car il y en aurait bien d'autres, mais j'ai promis d'être concise...
Beaucoup de nos soins essentiels pourtant, n'ont pas de valeur comptable aux yeux de ceux qui nous chapeautent; nous ne pratiquons pas d'actes techniques époustouflants dans ce type de service.
Oui, nous réclamons d'être plus nombreuses pour exercer notre métier, pour le bien de tous, car si c'est l'enfer pour nous, ça l'est pour les résidentes avant tout et c'est à ce moment précis où l'on prend le risque de devenir maltraitantes ou que l'on décide de partir au bout de trois mois, comme je l'ai fait, sans me retourner, en pleurant peut-être, sûrement même...Je n'y serais pas retournée même pour 1000 euros de plus par mois ! Ça ne veut pas dire que nos métiers de soignantes ne doivent pas être revalorisés.
Les infirmières, puis les aides-soignantes ont jeté l'éponge depuis quelques années déjà, bien avant le covid et la réalité actuelle des Ephad en France, est qu'ils peinent à recruter, c'est la panique à bord...alors, leur solution bête et méchante est de recruter du personnel non qualifié ! A vous de juger !
Dans l'idéal, il faudrait développer de petites structures mais ne soyons pas idéalistes n'est-ce pas ? Battons-nous pour un début de commencement dans ce qui est déjà établi.
Mr Macron durant sa campagne présidentielle de 2017 a blablate pour faire de la prise en charge de la vieillesse un enjeu national et patati et patata... il a juré, craché par terre, même qu'on ne lui en demandait pas tant ! Il venait de découvrir qu'il y avait vraiment beaucoup de vieux, très certainement...ou il a eu une sorte de révélation, je ne sais pas...
Le plus fort est que les politiques au pouvoir bidouillent à coups de millions d'euros, qui ne servent à rien, excepté aux actionnaires de ces groupes, qui sont mal employés. Un placebo sur une jambe de bois aurait dit ma grand-mère ! C'est ni fait, ni à faire !
Non, le livre " les fossoyeurs" sorti hier ne m'étonne pas. Et Orpea est l'arbre qui cache la forêt !
Oui, ils vont taper sur les doigts d'Orpea, peut-être même, faire tomber une tête pour que l'on ferme notre grande bouche !!! Vous voyez, je m'efforce d'être polie ! Je peux le faire, mais c'est pas simple !
On s'offusque mercredi (tout en prévenant déjà, dixit la ministre déléguée à l'autonomie, que c'est sans doute une malencontreuse affaire isolée qui concerne un établissement spécifique); bref, une grande inspection est lancée le jeudi, dans la foulée on convoque le directeur général du groupe pour mardi et vendredi tout sera oublié ! Et, voilà le travail, la messe sera dite !
Car, elle va faire quoi l'ARS ? Elle va les gronder ? Leur dire de cesser ces pratiques immondes qu'elle cautionne depuis toujours et qu'elle a elle-même créées ? Elle va reprendre les deniers publics ? Récupérer ces vieux décidément très encombrants ?
Rendez-vous est pris pour un autre scandale trop visible à venir...
Isa