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Billet de blog 21 avril 2025

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Les petits merdeux : volutes de civette et fierté bourgeoise

Fumeur de cigare, bourgeois satisfait ? Votre virilité ostentatoire, c'est historiquement se tamponner la moustache de sécrétions anales via la civette parfumant le tabac. Ces "petits merdeux" ignorent que leur bâton de maréchal traîne un sillage historique de merde. Satire féroce de l'arrogance et de son parfum... singulier.

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Petits Merdeux, Grandes Volutes ?

Ils sont là, penchés sur leur Davidoff comme on relit Céline : le front plissé d'orgueil, le doigt jauni d'histoire, le regard humide de leur propre importance. Fumeurs de cigares. Bourgeois de la lèvre supérieure. Héritiers imaginaires d'une virilité conquérante qui sent la vieille bibliothèque, la selle en cuir et le jus de glande anale.

Car oui, messieurs : ce que vous fumez sent la civette.

Et non, pas la boutique à tabac du boulevard Raspail — mais la civette animale, celle qu'on éventre pour en extraire un musc immonde, séché à l'air libre et vendu, jadis, comme le nec plus ultra du raffinement masculin.

Fumer le cigare, c'est, historiquement, se tamponner la moustache de sécrétions anales. Tout un programme.

Le Cigare comme Paravent Social : Posture et Domination

La figure du fumeur de cigare traverse l'histoire récente comme une caricature persistante de la puissance autoproclamée. Du colon en casque amidonné supervisant ses plantations depuis sa véranda, à l'homme d'affaires en costume rayé célébrant un accord juteux dans un club privé londonien, le cigare sert d'insigne. C'est le signe phallique bourgeois par excellence, un marqueur de statut qui dit : "Je suis arrivé, je domine, et je prends mon temps pour savourer ma supériorité". On observe le rituel : la coupe précise, l'allumage lent, la première bouffée gardée précieusement en bouche... Toute une performance destinée à masquer l'essentiel : l'illusion du goût. Car qu'est-ce d'autre, souvent, qu'une merde coûteuse artistiquement enroulée, fumée lentement pour mieux faire étalage de son oisiveté et de sa prétendue connaissance ?

L'Origine du Mot "Civette" et son Parfum d'Animal

Le comble de l'ironie réside dans ce mot : "civette". Le nom même du temple où nos importants vont chercher leur dose de distinction olfactive nous ramène, par une étymologie cruelle, à la source même de leur imposture parfumée.

La civette, de la glande à la vitrine

À l'origine, la civette (du latin zibethum, via l'arabe zabad) désigne un musc animal issu des glandes périnéales de la civette africaine ou asiatique. Utilisé depuis l'Antiquité pour fixer les parfums, il fut largement employé en parfumerie jusqu'au XXe siècle.

Lorsque les cigares de moindre qualité — à base de tabac de mauvaise qualité — furent jugés trop âcres, certains manufacturiers commencèrent à les aromatiser… à la civette. D'où le lien étymologique entre la civette-boutique et la civette-animal, les deux exhalant au fond la même chose : le fantasme d'une virilité enveloppée de sueur, de poil et d'autorité.

La pratique est documentée dès le XIXe siècle : pour masquer les relents médiocres du tabac ou pour conférer un cachet faussement luxueux, on utilisait cette sécrétion aux relents puissants, fauves, presque fécaux. Rappelons-le pour le plaisir : une essence issue des glandes anales d'un animal. De la glande à la chambre de dégustation, tout un trajet de noblesse autoproclamée. Ces "petits merdeux", gonflés de leur importance, se délectaient peut-être, littéralement, d'une fumée de merde.

De la Glande à la Molécule : L'Héritage Olfactif

Bien sûr, l'époque a changé, du moins en apparence. L'hygiénisme est passé par là, et la mauvaise conscience aussi. On ne trempe plus (ou si peu, espérons-le) les feuilles de tabac dans des sécrétions douteuses. La parfumerie moderne a digéré ce passé sale et l'a remplacé par des ersatz synthétiques. L'ambroxan (ou Ambrox), souvent dérivé de la sauge sclarée, offre cette note ambrée, chaude, animale, sans avoir à gratter le derrière d'une civette. De même, la civettone, molécule clé de la civette naturelle, est reproduite synthétiquement. Et ne nous y trompons pas : ces notes synthétiques ambrées, musquées, animales, sont toujours utilisées aujourd'hui, non seulement en parfumerie mais aussi pour aromatiser une vaste gamme de produits du tabac, y compris le tabac à rouler ou à priser, bien au-delà du seul cigare historique. Ces arômes, parmi tant d'autres (fruités, mentholés, vanillés...), servent à masquer l'âcreté naturelle, à standardiser le goût ou à créer une signature "unique". C'est un vestige propre, certes, mais un vestige bien vivant d'un passé peu ragoûtant et un artifice omniprésent.

Mais l'esprit demeure. Cette recherche d'une note "virile", "puissante", ou simplement masquante et addictive, même synthétisée en laboratoire, perpétue une forme de filiation avec le fantasme originel ou du moins avec l'artifice olfactif destiné à tromper le consommateur. La boucle est bouclée : les tabacs modernes, même sans civette littérale, continuent d'être enrobés d'arômes qui masquent leur nature brute, tout en affirmant parfois un statut construit sur des illusions et, historiquement, sur une certaine puanteur. Un peu comme ces hommes qui, ayant du sang ou de la merde sur les doigts, se parent des parfums les plus suaves et capiteux pour masquer leur violence ou leur profonde médiocrité.

La Puerilité Persistante des Petits Merdeux

Alors, que reste-t-il du fumeur de cigare contemporain, héritier inconscient de cette histoire olfactive peu glorieuse ? Il continue de jouer sa partition de dominant sans cerveau, son cigare en guise de bâton de maréchal, ignorant ou feignant d'ignorer que son accessoire fétiche traîne derrière lui un sillage historique... de merde. L'illusion du goût, la posture du connaisseur, le paravent social : tout cela s'effondre face à l'ironie de la civette.

Ces "petits merdeux", comme nous les avons affectueusement nommés, continuent de se gargariser de leur importance, enrobés dans des volutes qui, si elles ne sentent plus littéralement la glande anale, n'en demeurent pas moins chargées d'une arrogance historiquement fondée sur du vent... et peut-être pire. La puanteur bourgeoise, même désodorisée par le progrès chimique, reste tenace.

Isidor Starck

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