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Billet de blog 21 avril 2025

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Urbi et Orbi : marchands du temple et billet pour le paradis.

La visite opportuniste du Vice-président américain auprès du Pape François affaibli, juste avant son message pascal, est une instrumentalisation cynique inadmissible. Elle rappelle d'anciennes faveurs du Vatican, tel ce "billet pour le Paradis" négocié par un politique suisse influent et aux intentions troubles. Un miroir cruel de notre époque.

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L'image a quelque chose de glaçant, une dissonance qui nous frappe avant même que l’indignation ne se manifeste. Place Saint-Pierre, Pâques 2025. Le Pape François, 88 ans, visiblement affaibli après une longue hospitalisation, apparaît au balcon pour la bénédiction Urbi et Orbi. Il peine à parler, délègue la lecture de son message de paix, un message qui dénonce l'antisémitisme croissant et la situation ignoble à Gaza. La solennité du moment est palpable, teintée de la fragilité de l'homme.

Et puis, cette information, glissée dans le compte-rendu du Monde du 20 avril 2025 : quelques instants plus tôt, dans la discrétion toute relative de la résidence Sainte-Marthe, le Pape a reçu J.D. Vance, vice-président américain. Une "rencontre privée" de "quelques minutes".

Privée ? Vraiment ? Ou plutôt l'illustration obscène d'un opportunisme politique qui ne recule devant rien, pas même devant la vulnérabilité d'un souverain pontife au seuil d'une allocution universelle ? Cette intrusion, cette présence quasi subreptice juste avant le message pascal, relève pour moi d'une maladresse si grossière qu'elle en devient suspecte, presque inhumaine. Une tache dans le tableau, un hoquet dans la liturgie médiatique, qui exige qu'on s'y attarde.

Comment imaginer qu'une telle rencontre, à un tel moment, soit le fruit du hasard ou d'une simple courtoisie diplomatique ? Je peine à y croire. On imagine le scénario : l'administration Trump, apprenant l'imminence de l'allocution papale, événement médiatique mondial, décide d'un coup de poker opportuniste. Il faut être là, il faut voir le Pape, même affaibli, même pour quelques minutes volées. Pourquoi ? Pour une photo ? Pour un communiqué sibyllin ? Pour envoyer un signal à un électorat spécifique ? Peu importe la raison exacte, l'arrière-goût est celui d'une instrumentalisation.

On imagine les pressions terribles, les coups de fil insistants, les leviers diplomatiques obscurs actionnés en urgence pour forcer la porte de Sainte-Marthe. Comment expliquer autrement qu'un personnage comme Vance, qui n'est pas réputé pour sa proximité idéologique avec le Pape François, dont les critiques passées sur la politique migratoire de Trump résonnent encore, ait pu obtenir cette audience dans un timing aussi serré et alors que l'état de santé du Pape exigeait manifestement le repos ? Cela défie la logique protocolaire et soulève une question fondamentale : jusqu'où la realpolitik la plus cynique peut-elle s'immiscer dans des moments qui devraient relever du sacré ou tout du moins du respect de la personne humaine ?

 La juxtaposition de cette rencontre avec le message papal lu par un collaborateur, ce plaidoyer pour la paix, contre l'antisémitisme, pour l'aide humanitaire, crée une dissonance insupportable. D'un côté, l'appel à "abattre les barrières" ; de l'autre, la présence d'un représentant d'une politique qui en a érigé. C'est cette collision de symboles, un agenda politique tentaculaire venant parasiter un message universel, voila qui rend l'épisode particulièrement révoltant et questionnable.

Ce genre de manœuvre où le politique force la porte du spirituel pour ses propres fins n'est hélas pas nouveau dans les espaces feutrées du Vatican. Les murs du Saint-Siège ont été témoins de bien des tractations où la foi servait de paravent à des intérêts bien plus terrestres. L'histoire est riche en épisodes où la diplomatie pontificale, sous couvert de neutralité ou de mission divine, s'est mêlée aux jeux complexes des puissances.

Pensons à la Suisse des années 1920 et 1930, cette période d'entre-deux-guerres où le pays, bien que soit disant neutre, était un carrefour d'influences et de négociations parfois troubles. Des figures politiques helvétiques, comme Jean-Marie Musy, Président de la Confédération en 1925 et 1930, dont les sympathies ultérieures ne furent pas toujours des plus claires, naviguaient dans ces eaux complexes. Le Vatican lui-même, sous Pie XI, observait avec attention la montée des totalitarismes, cherchant à préserver les intérêts de l'Église via des concordats et des discussions discrètes.

C'est dans ce climat de tractations en coulisses, où les services rendus se monnayaient en influence ou en garanties futures, que des arrangements particulièrement uniques pouvaient voir le jour. Des arrangements qui s'ils étaient révélés jetteraient une lumière crue sur la nature profondément humaine et parfois dérisoire des mécanismes du pouvoir.

Et parmi ces arrangements singuliers, il en est un bien réel celui-là, qui dépasse l'entendement et illustre crûment la confusion des ordres qui peut parfois s'emparer des puissants. L'information provient d'une source directe : petit-fils de Jean-Marie Musy lui-même, ancien Président de la Confédération Suisse, qui m'a non seulement rapporté l'histoire mais m'a également communiqué un scan du document en question.

Jean-Marie Musy ayant rendu un service diplomatique particulièrement apprécié du Souverain Pontife de l'époque (Pie XI). Un service discret, sans doute relevant de ces négociations controversées où la neutralité helvétique savait se montrer... flexible. En guise de remerciement suprême, le Pape de l'époque a fait amender, oui, amender, comme on modifie un acte notarié, un document officiel, signé de sa main. Ce document authentique, véritable relique bureaucratico-spirituelle, garantissait ni plus ni moins un accès prioritaire et irrévocable au Paradis pour le Président Musy et les trois générations suivantes de sa famille !

Cet ami, dont je préfère garder le nom exacte, possède encore ce stupéfiant laissez-passer céleste. Un héritage absurde, un privilège post-mortem obtenu non par la vertu ou la foi, mais par les services rendus sur l'échiquier terrestre. Quelle meilleure illustration du mélange des genres entre politique et spiritualité ? Ce billet pour le Paradis, négocié comme une faveur diplomatique, résonne étrangement avec la visite de Vance au chevet du Pape François. Un signal politique vaut-il aujourd'hui ce qu'un service secret valait hier ? La monnaie d'échange a certes changé mais la logique sous-jacente de l'instrumentalisation demeure : utiliser le symbole papal pour un bénéfice terrestre immédiat. Le Vatican comme antichambre du pouvoir, ou simple bureau des indulgences modernes ? La question reste posée, hier comme aujourd'hui.

Alors, que retenir de cette Pâques 2025 au Vatican, au-delà du message de paix courageusement porté par un Pape convalescent ? Que retenir de cette "visite privée" de J.D. Vance, si ce n'est qu'elle agit comme un miroir cruel de notre époque ? Un miroir où la communication politique la plus effrontée n'hésite pas à instrumentaliser la fragilité et où les symboles les plus sacrés peuvent être court-circuités par des agendas terrestres.

L'anecdote du billet pour le Paradis, pour extravagante qu'elle soit, nous rappelle que ces jeux de pouvoir, ces arrangements en coulisses, ne datent pas d'hier. Mais leur répétition aujourd'hui, dans un contexte mondial de tensions extrêmes et face à un Pape qui tente, malgré tout, d'incarner une boussole morale, prend une saveur particulièrement amère.

L'épisode Vance, loin d'être anodin, est symptomatique d'une certaine politique décomplexée, où l'image prime sur le sens, où la rencontre furtive tient lieu de dialogue. C'est inadmissible, oui. Et cela nous oblige à rester vigilants, à questionner sans cesse les mises en scène du pouvoir, fussent-elles orchestrées, dans le bureau ovale, sous les fresques de Michel-Ange ou dans les antichambres feutrées de Sainte-Marthe.

Isidor Starck

  • Source : Article, Le Monde, 20 Avril 2025.
  • Source : Article, Agence France Presse, 19 Avril 2025.
  • Source : Billet, Libération, La mort du Pape François, ou le signe d’un monde qui bascule, Bernadette Sauvaget, le 21 Avril 2025.
  • Source : Anecdote, Document Papal.

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