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Billet de blog 12 mai 2025

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Algérie-France : le béton n’efface pas les ossements

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Il y a toujours un monsieur moustachu, quelque part sur un plateau télé, pour dire : « Oui mais enfin, la France a apporté la civilisation ! » Ce monsieur-là porte souvent une cravate tricolore et un passé trouble, parfois même un futur douteux. Il dit ça en bombant le torse, persuadé qu’avant l’arrivée de la France, l’Algérien mangeait ses enfants et taillait des silex avec les dents. Comme si l’Algérie avait été une zone vierge, une espèce de bac à sable sans alphabet et sans poètes. 

Mais ça ne suffit pas. Il insiste. « Et les routes ? Et les hôpitaux ? » Ah, les routes ! Il faut croire que l’asphalte pardonne tout. On peut donc tuer, piller, effacer des noms, brûler des villages, pourvu qu’on laisse derrière soi une deux voies praticable en Peugeot 205. Ce serait presque une morale : "Tu m’as massacré ma grand-mère, mais merci pour la rue goudronnée." On imagine l’Indien d’Amérique, la larme à l’œil, remerciant le général Custer d’avoir élargi le sentier des bisons. On imagine le Congolais, le cœur débordant de gratitude, pour chaque kilomètre de chemin de fer posé sur les os de ses ancêtres. C’est cela, la logique des routes.  L'argument phare. L’excuse nationale. Le totem en bitume. Des routes. Comme si un pont enjambait la mémoire. Oui, des routes ont été construites, mais à quoi bon goudronner un pays quand c’est pour mieux y faire rouler des blindés ? À quoi bon ouvrir des chemins si c’est pour qu’ils mènent à des mines ?

Quant aux hôpitaux, parlons-en. La France en a construit, c’est vrai. Mais elle a aussi imposé un système où seuls les colons y entraient par la grande porte, pendant que les indigènes attendaient dehors, à soigner leur tuberculose avec de la menthe sauvage et des prières bilingues. La France, c’est cet invité qui vous arrache les rideaux, mange vos olives, tue votre cousin, et vous offre un thermomètre en partant.

Et pourtant, l’Algérie ne réclame pas de compensation financière. Non. Le président Tebboune l'a déjà dit : « Nous ne voulons pas de réparations financières. » Ce qui, à bien y réfléchir, est la chose la plus digne qui soit. L’Algérie ne tend pas la main, elle tend l’Histoire. Elle ne demande pas un virement, elle demande un regard. Et ça, pour beaucoup, c’est insupportable. Parce qu’il est plus facile de donner un chèque que de donner raison. L'argent lave, mais pas la mémoire.

L’Algérie n’est pas en quête d’argent, elle est en quête de reconnaissance. Elle ne réclame pas des liasses, elle attend des mots. Elle ne veut pas acheter la mémoire, elle veut qu’on l’éclaire.

Alors, pourquoi cette peur panique des excuses ? Parce qu’elles brisent un récit. Celui de la France éternelle, mère des arts et  des lois, à qui l’on devrait ériger des statues en pâte d’amande pour avoir exporté Voltaire à dos de canon. S’excuser, ce serait dire que la République a su être tyrannique. Que la Lumière, parfois, allume des bûchers.

S’excuser, ce serait admettre que la République a su être coloniale, brutale, raciste. Qu’elle a envoyé ses fils dévorer les terres des autres au nom de la mission civilisatrice, qui ressemblait furieusement à une entreprise de déshumanisation. Et ça, certains ne le supporteront jamais. 

Mais l’Algérie ne réclame pas l’humiliation de la France. Elle ne veut pas la traîner devant un tribunal international. Elle demande une chose simple : un aveu. Un mot net, propre, clair, posé sur la table comme un verre d’eau après l’incendie. Pour ne plus voir la France se réfugier derrière des arguments logistiques — les trains, les égouts, les plans d’urbanisme.

Il y a, en France, un fantasme étrange : celui du colonisateur gentil. Il aurait, dit-on, apporté l’école. Mais à quoi sert l’école, quand on y apprend que l’on est inférieur ? Il aurait apporté la langue française. Fort bien. Mais c’était pour mieux interdire les autres. Il aurait apporté le droit. Mais seulement pour mieux l’appliquer aux autres. Un droit asymétrique, à la manière d’un parapluie troué : il protège celui qui le tient, et trempe celui qu’on frappe avec.

En réalité, l’Algérie n'a pas besoin de repentance pour avancer. Elle trébuche, certes. Elle fume, elle râle, elle corrompt, elle construit des stades en trois décennies, mais elle avance. Et elle garde sa dignité. Elle ne réclame pas de l'or. Elle veut des mots. Elle veut que la France dise, simplement : « Oui, c’était une horreur. Oui, c’était notre faute. » Sans condition. Sans justification. Sans parler de routes, de trottoirs, de dispensaires ou de débits de boissons. Juste un silence, puis une phrase.

Et ce serait fini. Le reste serait littérature.

Certes, il resterait toujours quelques énergumènes pour dire : « Vous n’avez qu’à remercier la colonisation, sinon vous seriez encore à dos de chameau. » Ceux-là vivent dans un monde où les pays n’existent que s’ils ont été validés par l’Europe, un peu comme des produits laitiers.

Mais qu’importe. Il n’y a pas d’humiliation à demander pardon. Il y a, au contraire, une grandeur. Car seuls les puissants s’excusent sans crainte. Les faibles  fantasment sur les routes et les dispensaires.

Alors la France, si elle veut vraiment être grande, il serait temps qu’elle dise à l’Algérie : « Je te demande pardon. Pas pour construire, mais pour avoir détruit. Pas pour t’avoir donné, mais pour t’avoir pris. Pas pour t’avoir enseigné, mais pour t’avoir empêchée d’apprendre par toi-même. »

Et c’est précisément parce que l’Algérie ne demande pas d’argent que l’excuse serait belle : elle ne serait pas une transaction, mais une réconciliation.

Et que l’on cesse de nous parler des routes. Elles ne mènent qu’à la honte.

Et puis
..Des routes, vraiment ? Construites par qui ? Par les mains calleuses des Algériens, réquisitionnés, exploités, payés en miettes ou pas payés du tout. Ces routes, d’ailleurs, à quoi servaient-elles ? À transporter les richesses pillées – blé, vin, minerais – vers les ports, puis vers la métropole. Elles n’étaient pas là pour relier les villages algériens, pour favoriser le commerce local ou pour permettre aux fellahs d’aller vendre leurs dattes au marché. Non, elles étaient les artères d’un système vampirique, conçu pour engraisser la France pendant que l’Algérie saignait.

Ce texte n’est pas une charge contre la France, mais un plaidoyer pour qu’elle soit à la hauteur de son propre idéal.

Il faudrait donc que la France présente des excuses à l’Algérie. Pas par caprice, ni sous pression — non, simplement parce qu’un adulte poli s’excuse quand il a dévasté la maison de son voisin, même si c’était il y a longtemps, même si ce voisin a depuis refait sa toiture  et repeint sa dignité.

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