Il est debout, silencieux, dans un coin de l’Histoire que beaucoup aimeraient rayer à coups d’amnésie. Le Général Major au teint sec, au regard tranchant comme un 5 octobre, celui qui a levé la main quand d'autres l'ont baissée, celui qui a osé dire non, au moment exact où l’Algérie disait oui au gouffre.
Que serait devenue cette terre brûlante sans l’arrêt d’un train lancé à toute vitesse vers l’ombre ?
Le Front Islamique du Salut voulait l'application de la Charia, le châtiment au bout du chapelet et la prière au bout du canon.
Le peuple décida alors de voter pour la nuit avec l’espoir du jour. Il fallait l'interrompre.
Et il l’a fait.
L’histoire est ironique : elle oublie vite les digues quand la mer redevient calme. Elle hait les soldats quand les sabres sont rengainés. Les peuples, parfois, se comportent comme des enfants capricieux : ils pleurent d’avoir été sauvés du feu parce que le sauveteur les a tirés par les cheveux. Ils crient à la douleur, mais oublient qu’ils étaient à deux doigts de mourir.
Alors, sur les réseaux sociaux, des énergumènes tels Zitout et tant d'autres, véhiculent une autre version de l'histoire pour accuser l'armée d'avoir tout manigancé. Voilà qu’on parle de « coup d'État», de « complot », de « plan », de « manipulation », comme si les urnes n’avaient jamais débordé de menaces. L'armée devient donc pour les esprits naïfs le grand méchant loup, et les islamistes, des victimes incomprises. Quelle plaisanterie, quelle pirouette grotesque ! On parle de « théâtre militaire », comme si l’armée avait inventé les fanatiques, comme si les têtes tranchées n’étaient que des accessoires de studio.
Mais non. Les islamistes étaient bien réels, en chair, en os et en dogme.
L’Algérie voulait sa théocratie comme une mariée veut son henné : avec naïveté, avec orgueil, avec cette soumission joyeuse à l’illusion. Elle voulait croire que le paradis viendrait par décret, que le pain pousserait dans les mosquées, que les ministres liraient le Coran au Parlement et que tout irait bien tant que les femmes se taisaient.
Mais Khaled Nezzar a dit non. D'une main ferme. Il n’a pas demandé l’autorisation aux philosophes. Il n’a pas organisé un référendum avec des fleurs. Il a vu l’incendie, et il a fermé la vanne. C’était brutal. C’était salutaire.
Bien sûr, durant cette décennies, il y a eu des dérives. Des bavures. Mais comment affronter une hydre islamiste avec des chartes des Nations Unies ? Pouvait-on terrasser des fanatiques, prêts à tout, en respectant les subtilités des droits humains ? Demander cela, c’est exiger d’un pompier qu’il éteigne un incendie avec une tasse d’eau.
Et voilà que maintenant sur facebook et tiktok, les adeptes de la mémoire sélective, réécrivent l’histoire avec des encres de paranoïa. On dit que les islamistes étaient doux, qu’ils offraient des roses dans les urnes. Les mêmes qui tremblaient en 1992 s’improvisent aujourd’hui chroniqueurs de la trahison.
Mais la vérité est là, nue, sans voile : le peuple a voté pour un monstre. Et il ne se le pardonne pas. Car ce n’était pas l’urne des nations civilisées, mais un cercueil déguisé en choix populaire.
Alors il invente des mythes pour se laver la conscience, il diabolise ceux qui ont pris le risque de le sauver. Parce qu’il est plus facile de haïr celui qui a sauvé que de s’avouer complice de sa propre noyade. Il nie les faits, ignore les têtes coupées, les filles enfermées, les rues vidées, les chanteurs et les écrivains assassinés. Il préfère accuser les uniformes que reconnaître sa propre erreur. On voulait voter, oui. Mais pour quoi ? Pour un sabre dans la Constitution. Pour un Coran dans le Code civil. L’Algérie, dans sa confusion sublime, croyait voter pour le paradis ; elle cochait, sans le savoir, les cases de son enfer.
Et aujourd’hui encore, malgré les cadavres, malgré les charniers, malgré l’exil d’un million de cerveaux, la bête revient. Elle parle doucement, elle se parfume de modernité, elle dit vouloir la piété. Les prédicateurs sont devenus influenceurs. Et les mêmes applaudissent. Ils n’ont rien appris. Ils n’ont rien compris. Ils veulent encore croire que la religion peut devenir politique sans devenir prison. C'est bel et bien cela le plus risible, le plus absurde, c’est cette danse macabre que poursuit le peuple. Après des milliers de tombes, après des rivières de larmes, les voilà, les héritiers de cette tragédie, à applaudir encore les sirènes de l’extrémisme. Les prêcheurs, jadis chassés, reviennent en douce, drapés de nouveaux habits, et les foules, amnésiques, leur tendent l’oreille. On chante les louanges d’un rigorisme qui, hier encore, faisait couler le sang. On glorifie les idées qui, sous d’autres cieux, ont enchaîné des nations entières.
Khaled Nezzar n’a pas été un ange. Mais les anges ne commandent pas des armées. Il a été l’homme qu’il fallait au moment où il ne fallait pas d’homme mou. Il a choisi de sauver un pays que d’autres étaient prêts à enterrer dans une urne électorale.
L’Algérie ne sait pas remercier ceux qui lui ont évité la mort. Elle préfère se vautrer dans la nostalgie d’un suicide raté. Elle préfère pleurer sur les droits de l’homme piétinés que célébrer les millions d’âmes encore vivantes.
Le peuple oublie, réécrit, trahit. Mais l’Histoire, elle, n’oublie pas. Elle griffe les murs. Elle murmure la vérité entre les lignes. Elle rendra hommage, un jour, dans le silence d’un manuel que personne ne lira, à celui qui a arrêté le train juste avant le précipice. À celui qui, dans l’ombre d’un scrutin maudit, osa dire non, stoppant net la marche d’un peuple vers l’abîme. Et Au milieu du théâtre tragique, il n’a pas joué la pièce. Il a coupé le rideau. D’un geste sec, il a claqué la porte de l’enfer, juste avant qu’on n’en perde les clés.
Et on ne le répètera jamais assez, il est fort regrettable qu'aujourd’hui encore, certains, dans un élan d’amnésie savamment orchestrée, réécrivent ce passé, tissant des fables de complots, incapables d’admettre une vérité aussi crue qu’un soleil de midi : ils ont voté pour un monstre.