Un matin blafard se lève sur la République. Les Français veulent du changement. Mais pas le bon. Pas celui qui redistribue les richesses, qui répare les hôpitaux, qui redonne aux campagnes. Non, ils veulent un changement d’ambiance. Une France moins "bruyante", moins "colorée", moins "étrangère". Quitte à perdre au change, quitte à suer davantage pour gagner moins. Quitte à s’asseoir sur la solidarité. Ils veulent une France pour les Français. Mais ils ne savent plus très bien ce qu’est un Français. Alors ils votent pour quelqu’un qui leur promet de le redéfinir. À coups de lois, de contrôles, d’expulsions.
Les intellectuels ont déserté. Ou se sont reconvertis. Ils commentent l’actualité avec des lunettes rectangulaires et des mines graves. Ils parlent de "grand remplacement", de "choc des cultures", comme si la culture, c’était un vase Ming qu’un adolescent maghrébin avait renversé. À force de dire que l’islam est incompatible avec la République, ils ont rendu la République compatible avec la xénophobie. Belle performance !
Dans les studios parisiens, les éditorialistes jubilent. Ils ont gagné. À force de plateaux télé, de faux débats et de polémiques gonflées comme des dindes de Noël, ils ont redonné ses lettres de noblesse à la haine polie. Ils ont repeint la peur en bleu-blanc-rouge. Et dans les campagnes, les ouvriers votent contre leurs voisins, contre les médecins de leurs mères. Ils votent pour que la France redevienne ce fantasme de carte postale avec clocher, béret, et silence ethnique.
Certains acceptent même de perdre du pouvoir d’achat, pourvu que leur voisin du troisième, celui qui a toujours payé ses loyers à l’heure mais qui mange avec les doigts, finisse dehors. C’est une sorte de jeûne patriotique : moins de viande, mais plus de pureté. Moins de vacances, mais plus de frontières. Moins de démocratie, mais plus de "chez nous".
Apparemment, l'ennemi de la France, c’est celui qui a un prénom que Papy ne comprend pas. Alors, on serre les fesses et les urnes, et on coche le nom de celui ou de celle qui promet l’hygiène raciale avec un sourire de conseillère bancaire.
La presse se gave de ces récits. Des mères de famille qui disent qu’elles ont peur d’aller au parc. Des hommes en colère contre des ombres. Des jeunes qui ne trouvent pas de boulot, mais trouvent facilement un coupable. Et dans les rédactions, on rit. Pas trop fort. Mais on rit. Parce que le chaos, ça vend. Parce que l’apocalypse vend toujours mieux quand elle a un visage basané.
Dans les entreprises, les CV avec des prénoms orientaux partent à la corbeille avant même de rencontrer un regard. Dans les commissariats, les contrôles s’intensifient, toujours dans les mêmes quartiers, comme si la délinquance avait une adresse postale.
Il ne s’agit plus de gouverner, mais de purifier. La droite a emprunté les costumes de l’extrême droite, et la gauche a perdu sa boussole dans un débat sur les menus à la cantine. Plus personne ne parle de justice sociale, de redistribution, de dignité. On parle de barbes, de burkinis, de mosquées. On fait croire que le salut viendra en interdisant le voile à l'université.
C’est une tragédie en trois actes. Premier acte : la crise. Deuxième acte : le bouc émissaire. Troisième acte : la ruine morale. Et tout le monde applaudit, comme à une pièce de boulevard. On rit d’un rire nerveux. Car au fond, chacun sait que l’Arabe du coin n’est pas responsable du prix du gasoil, que le halal ne rend pas stérile, et que la France n’a pas besoin de haine pour respirer. Mais la haine est plus simple. Elle se vend bien. Elle s’imprime vite. Elle fait voter.
Alors voilà : les Français vont peut-être se choisir un président qui promet la fin du chaos par l’expulsion des visages. Ils vont peut-être accepter de gagner moins, pourvu que la France gagne en "francité". Ils vont peut-être élire la peur. Mais ils ne seront pas plus heureux. Car la peur, une fois installée, ne part pas. Elle réclame toujours plus. Elle mange les libertés, les droits, les rires. Elle ne se contente jamais d’un immigré de moins. Elle veut une pensée de moins, une couleur de moins, une voix de moins.
Dans le ventre mou de la patrie, la France éternelle panique. Elle voit des barbes dans sa soupe, des prénoms dans ses cauchemars, des foulards sur ses fromages. Elle n’a plus peur du chômage, de la vieillesse ou de la solitude. Elle a peur de Inès à la caisse. Alors elle vote. Elle ne comprend pas bien pour quoi, mais elle sait très bien contre quoi. C’est déjà un progrès dans la confusion.
Mais attention, la France aime toujours quelques Algériens. Surtout quand ils ressemblent à Sansal. Il ne sait rien faire, mais il sait qui il déteste. Il a lu un demi-livre de Durkheim et cite Pascal comme un rappeur en dépression. Il rêve d’une France où les mosquées deviennent des musées. Macron l’adore. Non pour ce qu’il dit, mais pour ce qu’il hait. Il hait les Algériens, et ça, c’est un langage que tout le monde comprend désormais en France.
Pascal Praud l'adore car il s'assoit beaucoup avec ceux qui promettent moins d’étrangers. Moins de couscous. Moins d’odeurs d’ailleurs. Ceux qui promettent une République sous vide, étiquetée "origine contrôlée". Les gens les écoutent comme on écoute un médecin homéopathe après vingt ans de mal de dos : avec foi, mais sans preuves.
Les Français l'ont découvert après son arrestation en Algérie, et ils l’aiment déjà comme s'ils ont lu tous ses romans. Ils l'aiment parce qu'il dit ce qu’ils pensent tout bas, mais en plus bête. Il veut virer les musulmans, contrôler les sandwiches, obliger les gens à s’appeler Bernard. Il a un plan très simple : plus personne ne bouge, plus personne ne parle arabe, et la France redevient une carte postale de 1952. Personne n’a envie d’y vivre, mais tout le monde aime la regarder.
Il est actuellement en prison mais ses amis, à la télévision, ces experts en moustache expliquent toujours que l’immigration coûte cher, que l’islam est une menace, que l’Algérie est un caillou dans la chaussure républicaine. On ne sait pas bien ce que l’Algérie a fait cette semaine, mais elle a forcément fait quelque chose. C’est le bouton sur le front de la France : même quand il disparaît, elle continue à le gratter.
Macron s'est récemment vanté du taux de refus de visa. Probablement de 95% pour les Africains. Un record. Une performance. Un chef-d’œuvre bureaucratique. Un gamin sénégalais peut avoir 19 de moyenne, une promesse d’embauche et une lettre de recommandation de Victor Hugo revenu d’entre les morts, on lui dira quand même : non. La France, ce pays où entrer est devenu plus difficile que devenir pape en claquettes mais on crie à l'immigration non contrôlée !
Le taux de refus, très élevé, est présenté comme un trophée, un bouclier, un mot d’amour adressé à la frange la plus rance de l’électorat. "Regardez, on ne laisse plus passer personne ! Même les étudiants, même les malades, même les amoureux !" Un mur administratif, froid, silencieux. Moins poétique que le mur de Berlin, mais beaucoup plus mesquin.
Macron, lui, gère tout ça avec le calme d’un steward pendant un crash. Il sourit, ajuste sa cravate, et dit : “On a refusé 95 % des visas africains cette année, c’est une performance.” Il croit faire de la diplomatie. Il fait surtout de la vengeance coloniale version tableur Excel. On dirait un DRH sadique qui refoule des CV en fonction du prénom, puis colle des post-its “diversité” sur les murs.
Le rêve, désormais, c’est de retrouver ' l’avant '. L’avant quoi ? Avant l’immigration, avant les banlieues, avant la télé couleur, avant que l’on découvre que les colonies, ce n’était pas des clubs Med. Bref, l’avant où la France se regardait dans une glace et se disait : je suis belle, car je suis seule. On appelle cela la nostalgie ethnico-solitaire. Ça se soigne mal.
Et si un jour cette France-là obtient son président d’extrême droite, si elle le porte au pouvoir comme un bouquet de ressentiments en pleine gueule du réel, alors elle découvrira que l’on peut très bien nettoyer une maison au point de la rendre inhabitable. Parce que parfois, en chassant les autres, on finit par se perdre soi-même.
Le plus drôle, c’est que même les racistes vont finir par s’ennuyer. À force d’expulser tous les gens intéressants, il ne restera plus qu’eux. Un apéro 100 % patriote avec des chips nature et des débats sur l’identité, ça donne sûrement envie de sauter dans la Seine avec un dictionnaire.
Mais tout ça, c’est aussi un peu la faute de Trump. Oui, Trump, ce chewing-gum orange collé à la semelle du monde. Il a débarqué comme un vendeur de hot-dogs dans un opéra, éructant des slogans, insultant des gens au hasard, et soudain toute la planète s’est dit : “Tiens, si on faisait pareil ?” Depuis, l’extrême droite a fleuri comme des champignons toxiques sous une pluie de ketchup. Et la France, comme toujours, n’a pas su résister à la tentation d’imiter l’Américain.
Depuis, la France regarde les États-Unis comme un ado regarde un grand frère qui fume dans sa chambre : c’est mal, mais ça a l’air cool. Et forcément, ça finit par l’imiter, mal, avec un accent franchouillard et des mocassins trop petits.
On pourrait presque croire que l’Europe a signé un contrat moral stipulant : “En cas de débilité made in USA, obligation d’adhésion sous 48h".
Trump stigmatise, la France prend des notes. Il déteste les Mexicains ? La France déteste les Maghrébins. Il veut un mur ? La France veut des visas refusés. Il insulte les journalistes ? La France insulte les profs. En imitant servilement le colosse à bouclettes blondes, la France renonce à toute originalité même dans la haine : elle devient une sous-traitance du populisme américain. Une franchise discount du malheur en franchise.